Violence des casseurs, erreurs de maintien de l’ordre : pourquoi nous devons réapprendre la gestion démocratique des foules

000_1MC5FYAtlantico : Ce week-end, l’anniversaire des un ans de la naissance des Gilets Jaunes a été marqué par une flambée de violence, notamment à Paris. Pourtant, malgré les 254 arrestations dans la France entière
-173 à Paris- et la présence avérée de nombreux casseurs, une partie de la population refuse toujours de reconnaître leur existence et questionne encore la réaction des forces de l’ordre. A contrario, d’autres refusent de remettre en questions certaines pratiques policières.
Atlantico : Alors que la violence se fait de plus en plus présentes lors des manifestations, et que la présence de groupes de casseurs n’est plus à prouver. Comment expliquer l’aveuglement d’une partie de la population, dont notamment celui de la gauche radicale ?
Sylvain Boulouque : Avant tout, il faut préciser de quelle gauche on parle ici. Il y a plusieurs gauches, on peut en dénombrer quatre distinctes :
– La première est la gauche émeutière, laquelle est favorable à ces pratiques. Qu’elle participe ou non à ces actes de violence, elle fait preuve d’empathie envers les « casseurs ».
– La deuxième gauche est celle qui sans être complètement hostile à ces débordements, fait le choix de ne pas y participer. Elle considère que sombrer dans la violence n’est pas la bonne stratégie.
– La troisième gauche, proche de Mélenchon, se distingue des deux premières en ce qu’elle considère que ce type de débordement sont le jeux du pouvoir, et renforce le gouvernement en place.
– La quatrième gauche est celle qui rejette purement et simplement ces violences.
Il faut également distinguer les différents groupes d’émeutiers. Certains ont pour but de mettre le feu à la plèbe afin qu’elle rejoigne leur mouvement. Ceux-là constituent la grande majorité des « casseurs » et leur violence est politique, ils agissent avec un but politique plus que discutable mais néanmoins réel. Il y a quelques éléments qui, rejoignant ces émeutiers, ont eux aussi recours à la violence mais sans but politique aucun. Ces derniers sont très minoritaires. Par exemple, si l’on prend les ultra-jaunes, leur recours à la violence sert leur agenda et but politique. Il est bien difficile de déterminer leurs objectifs mais, à leurs yeux, l’usage qu’ils font de la violence n’est pas gratuit. Ils font partis de ceux qui ont une véritable passion pour l’insurrection, une passion qui gagne actuellement du terrain en France.
Alain Bauer : Pourquoi parler d’aveuglement ? La violence est consubstantielle à la relation avec l’Etat depuis plus de mille ans. Des jacqueries à nos jours il y a eu une relative civilisation des conflits intérieurs mais sans apaisement véritable. La violence n’est pas seulement le fait des ultras de gauche ou de droite, mais elle est comprise, parfois soutenue, par une importante partie de la population. La question est plutôt celle d’une inversion de la tendance qui avait permis de réduire l’ampleur des confrontations après le pic de 1979 où la tragédie de 1986.
A contrario, les pratiques policières sont parfois également critiquables -on pense notamment à
Alexis Corbière qui dit avoir été pris à parti ce samedi par les forces de l’ordre, bousculé et
gazé au gaz lacrymogène- et une partie de la population refuse toujours de les remettre en
question, pourquoi ? Pourquoi nier qu’il peut également y avoir un problème de ce coté ?

Sylvain Boulouque : Tout d’abord, une partie de la police est autorisée depuis décembre dernier à faire usage de la force. L’Etat leur a donné ce droit – ce recours légitime à la force lorsque jugé nécessaire- et il est donc obligé de les couvrir en cas d’abus. Cette pratique est nouvelle et bien différente de ce qui se faisait autrefois. Par exemple, en 1968 les forces de l’ordre faisaient nettement moins usage de la force qu’aujourd’hui. De plus, le type d’armes n’est plus le même. De nos jours, les armes utilisées par la police sont bien plus dangereuses, certaines relevant même de la catégorie d’armes de guerres. C’est parce que leur usage est disproportionné, même en prenant compte l’existence de groupes violents, que 24 personnes ont perdu un oeil, et 200 ont été blessé à la tête en un an.
Ainsi, si l’Etat nie un recours à la force disproportionnée de la part de la police c’est parce que c’est lui qui lui en a donné l’autorisation et également parce que les force de l’ordre ont le consentement tacite ou non d’une partie de la population. Pourtant, il n’est plus possible de nier cette réponse parfois disproportionnée des forces de l’ordre : tout le monde constate aujourd’hui que la France a la police la plus violente en Europe. Il ne s’agit pas là d’un point de vue personnel, mais d’une constatation qui émane du Conseil de l’Europe et de l’ONU.
Alain Bauer : Les dérives policières doivent être fortement condamnées et punies. Elles le sont souvent et la police compte en moyenne pour la moitié des sanctions de l’ensemble de la fonction publique d’Etat alors qu’elle pèse moins de 10% de ses effectifs.
Mais à force de subir jets de projectiles ou insultes pendant des heures, et surtout pendant 52 semaines (en week end ce qui était plutôt rare) l’épuisement cumulé à la baisse des effectifs à créé une situation inédite de crise. Ce qui a poussé le ministère de l’intérieur à faire appel de de nombreux effectifs non formés utilisant des équipements sans expérience suffisante. Il ne s’agit pas d’aveuglement mais des pires effets d’un processus qui rend la gestion du maintien de l’ordre, victime d’une vision purement comptable. Le ministère gère alors comme il peut en essayant d’éviter le pire.
Face à ces deux aveuglements, quel est le plus problématique ? Quelles peuvent être les conséquence de cet aveuglement ?
Sylvain Boulouque : Il est difficile de se prononcer sur ce point. Aujourd’hui dans la mesure où la population a relativement peur de manifester, on peut penser que le pouvoir et ceux qui nie un recours disproportionné à la force par la police l’on emporté. Effectivement, force est de constater que depuis novembre dernier le nombre de manifestants a décliné et certes, il y a le problèmes de revendications parfois peu précises et trop variés, mais il y a aussi surtout un sentiment de peur, la peur de se prendre un coup de matraque, du gaz lacrymogène ou une LBD.
Dans ce contexte, toute une partie de la population, qu’elle manifeste ou non, se pose des questions et se trouve face à une fin de non recevoir de l’Etat. On ne voit donc pas comment les choses pourraient s’améliorer à court terme. Si la révolte est moins vaste, la colère froide progresse et deux blocs apparaissent. Alors qu’ils se font face, aucune proposition alternative n’émerge et ne voit pas donc pas d’issue rapide à cet affrontement, un affrontement qui n’avait pas eu lieu depuis très longtemps.
Alain Bauer : Aucun des deux . Mais la culture de l’Etat qui pousse au rapport de force avant de négocier et qui a le plus grand mal à trouver des interlocuteurs prêts à le faire en confiance (eu égard aux manquements réguliers constatés précédemment).
Le tres grand pragmatisme du Prefet Lallement, la prise en compte des analyses des CRS et des gendarmes mobiles, le retour d’expérience imposé en 1987 or le préfet Massoni ou l’inspecteur général Berlioz, ont permis une forte réduction du nombre de blessés. Il faudra parvenir à réapprendre à manifester et donc à garantir ce qu’on appelle la gestion démocratique des foules .

Source : Atlantico

Répondre à Si même un G.˙.M.˙. émérite (adepte du flicage)… | Yannick Baele Annuler la réponse

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