Retour sur la fronde des gendarmes au cours de l’été 1989

Le malaise, exprimé de manière anonyme, a été relayé par d'anciens gendarmes en retraite, comme en témoigne cet article de La République du Centre du  19 août 1989

Le malaise, exprimé de manière anonyme, a été relayé par d’anciens gendarmes en retraite, comme en témoigne cet article de La République du Centre du 19 août 1989 © Archives La Rep

Dans le Loiret, comme un peu partout en France, les policiers manifestent. Ce mouvement de contestation fait écho aux revendications que les gendarmes exprimaient par des courriers anonymes, voici 27 ans. A l’époque, le parti socialiste était déjà au pouvoir. Petit retour en arrière…

Dans l’édition de La République du Centre du 27 juillet 1989, l’information tient en quelques lignes. Sous le titre « Gendarmerie: un certain malaise », l’ancien ministre de la Défense et député-maire de Villeurbanne, Charles Hernu, le dit avec conviction : « Nos gendarmes ont besoin d’être compris ». Cette déclaration intervient alors même que des gendarmes du Rhône viennent de diffuser une lettre ouverte de neuf pages, dans laquelle ils dénoncent, de manière anonyme, « leur statut de militaire, des horaires de travail trop élevés et l’incapacité des officiers supérieurs ».

Cette lettre, qui reprend un courrier de gendarmes savoyards, marque le point de départ de ce qu’on appellera « la fronde des gendarmes ».

Au fil de l’été, la contestation prend de l’ampleur. « Les gendarmes en ont ras le képi », titre La Rep dans son édition du 9 août. Le député-maire de Chartres, Georges Lemoine, est bientôt chargé d’une mission d’information parlementaire sur les conditions de vie et de travail de ces militaires, dont l’effectif est inférieur à 92.000 hommes.

« La gendarmerie n’est pas en crise »

Les lettres, rédigées de manière anonyme afin d’éviter des sanctions, se multiplient. Pour la plupart, elles sont adressées aux médias. Toutes dénoncent un problème d’effectifs, des semaines de travail de 60 à 70 heures sans compensation, des conditions de logement et de travail dégradées. Le tout pour un salaire de 7.000 francs (1.000 euros environ) en début de carrière et 10.500 francs (1.600 euros) en fin de carrière.

Dans un premier temps, le ministre de la Défense, le socialiste Jean-Pierre Chevènement, feint d’ignorer la grogne et déclare que « la gendarmerie n’est pas en crise ». Mauvais calcul.

Le 16 août, les militaires d’Eure-et-Loir rejoignent les contestaires en signant une lettre intitulée « Les gendarmes ne rient plus » dans laquelle ils détaillent 26 revendications. Le lendemain, Jean-Pierre Chevènement annonce qu’il va ouvrir des discussions, mais le ton du ministre reste ferme:  » La ligne jaune a été franchie. Je ne tolérerai pas de nouveaux appels à des actions illégales ».

Pour preuve, un gendarme de Narbonne a été mis aux arrêts et risque d’être renvoyé de la maréchaussée : le 15 août, il a utilisé le réseau de transmission de la gendarmerie pour appeler ses collègues à faire la grève des procès-verbaux à partir du 1er septembre. En réaction à cette sanction, des militaires du Gard menacent de révéler les emplacements des radars au bord des routes, tandis que d’autres réclament la démission de leur ministre de tutelle.

« Si l’on sanctionne ceux qui disent la vérité, c’est qu’il y a vraiment un malaise plus profond qu’on veut bien le laisser entendre »

André Petit, ancien major en retraite

A Gien, André Petit décide, lui aussi, d’exprimer son incompréhension. Cet ancien major en retraite, qui totalise 35 années dans diverses brigades, est responsable départemental de l’Union nationale des personnels et retraités de la gendarmerie. André Petit n’y va pas par quatre chemins : « Si l’on sanctionne ceux qui disent la vérité, c’est qu’il y a vraiment un malaise plus profond qu’on veut bien le laisser entendre », déclare cet homme, auquel le Président Mitterrand a décerné, sept ans, plus tôt, l’Ordre national du Mérite dans la cour des Invalides.

Le 22 août, le malaise s’étend au Loiret où des gendarmes menacent de ne plus dresser de PV. Dans une lettre, toujours anonyme, adressée à la rédaction de La République du Centre, des militaires précisent le sens de leur action: « Ne plus procéder à aucune répression privera le gouvernement d’un revenu non négligeable ».

Les casernes sont en feu et Jean-Pierre Chevènement multiplie les gestes d’apaisement. Une réunion de concertation se déroule le 23 août. 87 officiers, gradés et gendarmes y participent. Au niveau national, ils étaient 4.900 à s’être portés volontaires pour défendre leurs revendications.

Le ministre annonce des mesures concrètes: la création de 4.000 postes, la revalorisation d’indemnités, l’affectation de crédit supplémentaires à l’équipement de gendarmeries et à l’amélioration des casernes. A Orléans, les gendarmes sont déçus : « Le message de Chevènement, c’est de la pommade, de belles phrases. Nous, on espérait quelque chose de plus concret, comme la revolarisation de salaires notamment ».

« De la poudre aux yeux »

Comme en écho à la hausse des effectifs annoncée, les syndicats de policiers ne tardent pas à monter à leur tour au créneau pour réclamer une augmentation mensuelle de 600 francs (environ 91 euros). En déplacement à Lucé (Eure-et-Loir) début septembre, Bernard Deleplace, secrétaire général de la fédération autonome des syndicats de police, se dit favorable à « une démilitarisation de la gendarmerie et à la création d’une seule force publique civile ». Il estime que les effectifs policiers sont insuffisants et que les salaires méritent d’être revalorisés. Le syndicaliste menace le gouvernement d’une manifestation, le 11 septembre.

Deux jours plus tard, Alain Brillet, secrétaire national du syndicat national autonome des policiers en civil, tient un conseil d’administration de son syndicat à Orléans. Lui aussi réclame un déblocage des salaires et une compensation des heures supplémentaires. Avant de menacer de passer à l’action.

Une rencontre avec Pierre Joxe, ministre de l’Intérieur, permet finalement d’apaiser les tensions.

Quant aux gendarmes, ils accueillent avec satisfaction les propositions émises par Jean-Pierre Chevènement le 26 septembre. Hormis la création de groupes de concertation à tous les échelons, le ministre de la Défense promet une amélioration des conditions de vie et la réduction des astreintes. « De la poudre aux yeux! », commente pourtant le président de la section Montargis-Gien de la fédération nationale des retraités de la gendarmerie, pour qui « le malaise dans la gendarmerie n’est pas fondé ».

Philippe Renaud

Source : La République du Centre

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