«Police Magazine»: haro sur Internet et les violences policières (qui n’existent pas)

Publication interne au ministère de l’Intérieur, «Police Magazine» spécial maintien de l’ordre vient de sortir. Derrière l’exercice de com’ — où les réseaux sociaux sont accusés de tous les maux et les violences policières niées — quelques aveux. Et une évidence : la sous formation des policiers.

policemagcouvJuin 2019 © Police Magazine

Il serait navrant de critiquer une telle revue pour ses accents de propagande — c’est sa raison d’être. On peut néanmoins prendre du plaisir (malin) à éplucher son nouveau numéro, le 13, daté de juin. Le dossier est épais ; l’enjeu, de taille : «Force doit rester à la loi» clame la manchette.« Sauvons le soldat maintien de l’ordre » pourrait être sa devise, le long des 26 pages qui suivent (la quasi intégralité du trimestriel).

Dans l’opération de réhabilitation, beaucoup de soin (l’histoire express du maintien de l’ordre, embedded with la CRS 41, le canon à eau testé pour vous par un community manager de la police) — et deux obsessions : les violences policières, ça n’existe pas. Et les réseaux sociaux, ça existe trop.

Le morceau de bravoure est l’interview accordée par Dominique Wolton, sociologue des médias. Fidèle à lui-même, «l’œil du spécialiste», qui n’a jamais vraiment goûté l’Internet, démonte Twitter et autres Facebook sur quatre pages. Pour lui, la démocratie, ce sont les institutions et les « médias professionnels ». Le chercheur se lamente: «Plus il y a d’information, plus il y a de fake news», «la puissance des réseaux sociaux est un symptôme de la crise de confiance que l’on a dans la démocratie». Etc.

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MESSAGE SUBLIMINAL

Le titre de son entretien («Réseaux sociaux : entre liberté d’expression et violence») dit assez bien le tour de passe passe subliminal proposé par la revue : la violence, c’est surtout le messager, pas le message. Wolton évoque toutes les violences qui transitent par les réseaux, sauf une : la violence policière. Ballot.

A Police magazine, publié par le Service d’information et de communication de la Police nationale (20.000 exemplaires, réservés aux policiers et institutionnels), Wolton tente bien (timidement) le service minimum : «sur les réseaux sociaux, il est tout à fait légitime de dire les choses, de critiquer ou de s’opposer, mais c’est une erreur de penser que « l’expression est la vérité » ». Son dessein reste (parfaitement) résumé dans sa conclusion : «Il n’y a pas de démocratie sans confiance dans sa police. Il faut valoriser le fait que vous (la police, NDLR) intervenez quand tout a échoué ailleurs. Stigmatiser la police, c’est se stigmatiser soi même».

Son de cloche similaire dans la rencontre entre un journaliste à Libération et un journalier à l’IGPN qui «récuse le terme de violences policières qui ne correspond à aucune réalité juridique». Tenter de taire «l’hypermédiatisation» des «dénonciations d’usage disproportionné de la force, notamment au travers des réseaux sociaux» est tout l’objet de la manœuvre (un peu grosse).

On s’étonnera au passage de cette déclaration du contrôleur général de l’IGPN selon lequel «il n’y a pas de corrélation entre blessures et légitimité de la force». Les 125 manifestants dernièrement touchés à la tête par un tir (interdit) de LBD apprécieront (source : allo place Beauvau).

Quelques pages plus loin, consacrées à l’usage des armes, plusieurs rappels basiques ne résistent pas à l’examen des faits. Dernière sommation « réitérée à chaque usage des grenades » ? Grenades lacrymogènes ou assourdissantes « jamais en tir tendu » ? Grenade à main de désencerclement « obligatoirement au ras du sol » ? LBD utilisé à fin de « neutralisation à distance d’un individu dangereux pour autrui ou pour lui-même » ?

L’inverse a été documenté, samedi après samedi.
En nombre. En masse.
Sur les réseaux sociaux, précisément.

LE «FAMEUX PARAPLUIE»

La formation dans le maintien de l'ordre © Police Magazine

La formation dans le maintien de l’ordre © Police Magazine

Autre point saillant de ce (gros) dossier : la formation – régulièrement décriée ces derniers mois devant la profusion d’images de policiers en roue libre. Et le tableau récapitulatif des entraînements, dans un bel effort de transparence, est terrible. Il en dit long sur la misère des forces de l’ordre en la matière.

On y apprend ainsi que l’habilitation GMD (grenade de désencerclement) s’obtient au terme d’une seule petite heure de formation, avec 1 h de rappel (recyclage dit-on dans la police)… tous les 3 ans. Idem pour la GLI F4 qui mutile (5 mains arrachées pendant le mouvement Gilets Jaunes). Ou seulement 6 heures pour le Lanceur de balles de défense (avec 4 heures… tous les 3 ans de formation continue) — Le LBD impliqué directement dans au moins 19 des 24 éborgnements recensés. Détails disponibles ci-dessus, en vert.

Comme le dit à Mediapart Anthony Caillé, secrétaire national CGT Intérieur : « la formation initiale de toute arme est trop faible. On devrait s’entraîner au tir avec notre arme de service toutes les semaines, et avec les armes à dotation collective, tous les mois. 6 heures seulement pour apprendre à tirer au LBD ? C’est trop peu. Trouverait-on normal que les pompiers ne soient formés à la lance à incendie que toutes les 3 semaines ? Ils s’entraînent constamment, pas nous» Et encore, ne pas s’y tromper, dans les heures indiquées dans le tableau de Police magazine, la théorie (le Droit, le mécanisme de l’arme, etc) est comprise, amputant d’autant les minutes de pratique (manipulation des armes proprement dite, savoir la sortir, la rentrer, comment progresser avec, etc).

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Un agent de la BAC salue la présentation («bien faite, exhaustive, sans erreur factuelle»). Mais s’interroge (et nous avec) : «Pourquoi une telle diffusion? Pourquoi maintenant?» Lui qui connaît la Maison depuis des lunes, livre son point de vue: «Probablement est-ce une manière pour l’administration de se couvrir : le fameux parapluie. Une façon de rappeler que les habilitations sont soumises à des recyclages obligatoires lesquels, dans les cas contraires, peuvent valoir, en cas d’utilisation abusive ou non, des sanctions administratives et pénales pour les utilisateurs.»

C’est évidemment un des enjeux, majeurs, à venir : quelle sera la réponse judiciaire aux manquements au code de déontologie de la police, dans ce qui apparaît comme la plus grande répression de mouvements sociaux depuis 50 ans ? Le parquet de Paris, contraint devant la masse d’enquêtes IGPN, a d’ores et déjà annoncé des procès. Les syndicats sont sur leur starting-block, Laurent Nunez, numéro 2 de l’Intérieur, veut les rassurer (il ne regrette rien dans la gestion de l’ordre public, a-t-il déclaré, le 3 juin), et Police Magazine fournit déjà les éléments de langage.

Source : Médiapart

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