Police : le syndicat des commissaires lance un « avertissement » au gouvernement

Riccardo Milani / Hans Lucas

Dans un texte de six pages adressé ce vendredi 21 juin au directeur général de la police nationale, le puissant syndicat des commissaires recense tous les sujets qui fâchent. En tête, la guerre souterraine police gendarmerie. Le SCPN appelle une nouvelle fois à une réforme d’ampleur.

En langage courant, cela s’appelle un brûlot. Le syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN) s’est présenté ce vendredi 21 juin après-midi en Commission administrative paritaire avec un texte de six pages… au vitriol. Le document a été remis au directeur général, ainsi qu’aux autres syndicalistes. Dans ce courrier sans langue de bois, tous les « points chauds » qui traversent actuellement la maison police y passent. La guerre souterraine avec la gendarmerie et les « inégalités de traitement ressenties par les policiers »; le « manque d’ambition de l’administration », notamment en matière de formation; le véritable bilan de la crise des gilets jaunes et la perspective de jugements pour certains policiers.

Ce texte se pose en cri d’alarme et raisonne comme un avertissement au gouvernement. Objectif des commissaires : qu’une discussion de fond s’engage pour une réforme d’ampleur, qu’ils appellent de leurs vœux, des « deux forces de sécurité intérieure ». « La France vient de traverser une crise sociétale majeure, dans laquelle les forces de l’ordre ont fait face avec un engagement extraordinaire. Ils méritent la reconnaissance des pouvoirs publics et de la nation », prévient d’entrée le syndicat des commissaires.

En préambule de son courrier, le SCPN « salue » les annonces du Premier ministre dans son discours de politique générale et la « perspective d’un Livre blanc de la sécurité intérieure ». Le syndicat, en pleine crise des gilets jaunes, avait déjà appelé à la mise en œuvre d’Assises de la police, tant selon les cadres policiers la situation actuelle nécessite une série de remises à plat.

Police + gendarmerie

Premier bilan souhaité, celui de l’intégration de la gendarmerie au sein du ministère de l’Intérieur, il y a dix ans. « Il faut se rappeler combien, à l’époque, les gendarmes étaient hostiles à ce rapprochement. Aujourd’hui, ils s’en félicitent », soulignent les commissaires, y voyant d’ailleurs « un signe positif ». Mais le SCPN voudrait que soit désormais posée la question de « l’efficacité » du maintien en France de deux forces de sécurité. De leur coté, ces dernières semaines, les gendarmes, par la voix de leur patron, le général Lizurey, vantent à longueur de colonnes la pertinence du modèle bicéphale actuel, insistant sur la « militarité » du modèle français.

« Une seule force, civile, de sécurité intérieure »

Les commissaires du SCPN ne sont pas de cet avis : « Il est temps qu’on se demande une bonne fois pour toutes si la répartition actuelle des effectifs des deux forces est encore pertinente pour la sécurité de nos concitoyens, ou s’il faut envisager l’étape suivante : une seule force, civile, de sécurité intérieure. Le sens de l’histoire n’est en effet pas à la ‘militarité’, mais bien à la civilisation des forces de sécurité intérieure », écrivent les policiers, en désaccord avec la doctrine actuelle de la gendarmerie. « Alors que l’État est durablement contraint sur le plan budgétaire, l’existence de doublons dans des structures de directions, de commandements, de soutiens mais aussi opérationnelles, impose une réflexion sur un modèle renouvelé, unifié, en un mot plus efficace, moins coûteux, plus moderne, et qui pourrait par ailleurs répondre aux attentes légitimes des personnels de chacune de ces deux institutions », assène le SCPN. Le syndicat rappelle au passage que 80% de la délinquance se situe en zone police et dans les zones urbaines où les effectifs « sont surchargés ».

« La coexistence, parfois complexe, de deux forces pour une même mission, est coûteuse pour le contribuable, qui n’a aucune idée de l’étendue des doublons, alors qu’il peut légitimement se plaindre d’une offre de sécurité parfois insatisfaisante dans certains territoires », ajoute le SCPN… En clair, les policiers entendent que les efforts soient « partagés », alors qu’à les entendre, cela ne semble pas être le cas. « Comment accepter que des officiers supérieurs de la gendarmerie nationale se fassent aujourd’hui livrer des berlines haut de gamme, alors que les chefs de police des différentes directions actives ont reçu une note de votre part les informant de la réduction des segments des véhicules de services auxquels ils pouvaient prétendre ? », ironise le syndicat des commissaires. La guerre des voitures de fonction est déclarée…

Plus exposés face aux gilets jaunes

Autre grief qui ne passe pas, symbolique lui aussi, le fait que la gendarmerie « bloque » actuellement un projet de galonnage des commissaire généraux ou des officiers de police. Les policiers sont aussi furieux que certains gendarmes, dans la crise des gilets jaunes, aient pu avoir des « attitudes discourtoises » et des « postures propagandistes », notamment en critiquant le maintien de l’ordre en zone police. Après six mois de crise des gilets jaunes, si davantage de policiers font l’objet d’enquêtes disciplinaires, c’est surtout, selon le SCPN, parce que les arrestations musclées, en marge des manifestations, leur ont incombé… pas aux gendarmes. Dans le texte signé par le SCPN, les commissaires signalent aussi au passage que pour 150.000 fonctionnaires, la police compte 120 contrôleurs, inspecteurs généraux et directeurs, quand les gendarmes, moins nombreux, ont à leur tête 160 généraux… Là encore, selon le courrier, un motif « d’inégalité ».

Pour les commissaires du SCPN, ces bisbilles démontrent qu’« il est temps de poser les fondements de l’acte deux ». Leur vœu ? « Créer cette force de sécurité future, définir intelligemment ses missions, ses implantations, rationaliser ses moyens, et offrir un service de sécurité rénové à nos concitoyens, qui ont besoin de voir des services publics unifiés et pacifiés. » Pas sûr que la gendarmerie apprécie et soit mûre pour envisager « une force unique » que ces policiers réclament.

En attendant ce chantier, le SCPN espère une nouvelle fois une « réforme » en profondeur. « Il faut entendre les policiers, de tous corps et de tous grades, qui sont en attente de changement », écrit le syndicat. « Nous avons le devoir collectif de nous poser une question, simple : quelle police pour demain, c’est à dire pour 2030 et au-delà, comme savent le faire les militaires et les gendarmes, dont nous pouvons reconnaître le sens tactique et l’esprit de prospection ? ». Pour le SCPN, « il faut prendre le temps de réfléchir avec ambition, pour les générations futures, pour les citoyens comme pour nos personnels ».

« C’est quelque part un avertissement, une sonnette d’alarme »

Le texte d’aujourd’hui, « plus qu’une tribune, c’est quelque part un avertissement, une sonnette d’alarme. Nous invitons le pouvoir politique à prendre toute la mesure nécessaire à cet appel d’urgence », signe le syndicat des commissaires. Au passage, le SCPN tacle aussi d’autres syndicats policiers, et notamment Alliance, « tourné vers une lutte des classes inappropriée en ces circonstances, sans aucune proposition de fond » et stigmatise « un syndicalisme désuet et agressif, d’opposition sans propositions, ne correspondant plus à l’attente des policiers, encore moins des nouvelles générations, qui ressentent le besoin d’être défendus et dignement représentés. » Là aussi, les couteaux sont tirés.

L’administration, elle aussi, en prend pour son grade. Le SCPN signale « que les policiers ne sont toujours pas décorés à hauteur de leur engagement et de leurs efforts ». Il signale l’existence « d’inégalités » criantes entre le nombre de décorations coté gendarme et coté police. « Nous ne sommes pas dans une réaction de jalousie, ajoute le syndicat. Mais nous sommes dans une exigence d’équité de traitement des deux forces, ni plus ni moins. Nous allons être très attentifs aux demandes qui vont être faites pour décorer les policiers et gendarmes de la médaille de la sécurité intérieure à la suite de la crise des gilets jaunes. Nous n’osons pas imaginer qu’ils ne soient pas traités de manière égale », écrit le syndicat des commissaires.

Réformer la formation

Autre sujet qui fâche, celui de la formation. « A l’heure des comptes et des enquêtes » à la suite de la crise des gilets jaunes, « à l’issue desquelles certains risquent d’être renvoyés devant la justice, il faut ici dénoncer l’insuffisance des entraînements individuels mais surtout collectifs, l’insuffisance des formations opérationnelles, le manque d’équipements et de moyens. En un mot, le manque criant d’ambition de l’administration », écrit le SCPN qui appelle, dans le livre blanc, à la remise à plat de « la formation de nos policiers, initiale comme continue ».

En conclusion, le SCPN s’adresse au directeur général de la police : « 80.000 policiers actifs, sur les 110.000 que compte la police nationale, œuvrent dans le métier de la sécurité publique et de l’ordre public. Il y a urgence à les aider, et à valoriser leur métier, qui est lui aussi une spécialité. Il faut préserver le socle de ce qui permet d’assurer la paix publique en France ». Les dernières lignes du texte sont pressantes : « Réformer ne présente aucun danger pour la police nationale, la majorité de ses membres vous le demandent, et attendent votre réponse. Le vrai danger serait de ne pas les écouter. » La balle est désormais dans le camp du ministère de l’Intérieur, voire de Matignon. Une chose est sûre, les commissaires ont sorti les couteaux…

Source : Marianne

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