« Paulo et Pépé étaient gendarmes » – Un conte de Noël

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Nous voici tout proche des fêtes de Noël et de fin d’année. Comme tous les ans j’essaie de trouver un petit quelque chose à publier à l’occasion de ces fêtes.

L’année 2020 aura été marquée par de nombreux évènements, heureux ou malheureux, mais qui selon la sensibilité de chacun auront eu plus ou moins d’importance.

A l’approche de cette fête de la Nativité, j’ai voulu partager avec vous une histoire ou un conte qui ne peut nous laisser indifférent. Si ce texte est un peu long, il est agréable à lire et trouve sa place ici au moment où nous fêtons tous (ou presque) ce Noël 2020. 

Est-ce réellement un « conte » ou une histoire vraie et vécue ? Dans le monde dans lequel nous vivons, j’ose espérer que c’est une vraie tranche de vie de nos anciens.

Joyeux Noël à tous !

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Derrière les apparences…

Paulo et Pépé étaient gendarmes. Plus exactement gendarmes mobiles, comme aimait à le rappeler Pépé qui affectionnait la précision, et qui de plus affichait par cette mise au point une pointe de snobisme vis à vis du reste de  la grande famille de la gendarmerie.

Comment en étaient-ils arrivés à embrasser cette profession?

Pour ce qui est de Paulo c’était simple, originaire de Périgueux, il passait toutes ses vacances dans la petite ferme de ses grands parents maternels située à côté de Saint Astier en Dordogne. Et c’est à Saint Astier que se trouvait le centre d’entraînement de la gendarmerie mobile.

Donc, dès son plus jeune âge, il avait assisté de loin aux exercices des gendarmes en formation. Tous ces jeunes gars virils, çà l’avait beaucoup impressionné et il lui avait très vite semblé que c’était exactement ce à quoi il souhaitait ressembler quand il serait un homme. Dès lors, dans tous les jeux de cour de récré avec les copains, il était le représentant de la loi. Comme il était plutôt vigoureux, il mettait beaucoup de cœur à l’arrestation des bandits et sa maman était souvent appelée par les professeurs pour des doléances à propos de horions un peu trop réels et vigoureux infligés aux petits camarades. Malgré les raclées mémorables qui s’ensuivaient alors, le caractère de Paulo n’évoluait pas vraiment car, pensait-il, force devait revenir à la loi. Donc, après une scolarité moyenne, Paulo s’était engagé dans la gendarmerie. Comme c’était un très solide gaillard, l’officier qui l’avait reçu lui avait dit qu’il avait de fortes chances d’être accepté dans la gendarmerie mobile et qu’à ce titre il voyagerait et n’aurait pas le temps de s’ennuyer.

Pour Pépé, le parcours était assez semblable, hormis qu’il était natif de Pau et que c’est en voyant sans cesse les jeunes soldats de l’école des parachutistes de cette ville qu’il avait très tôt été tenté par une carrière militaire. De sa scolarité, achevée elle aussi rapidement et sans fioritures, il y a peu à dire.

Par contre Pépé s’était illustré très tôt sur les terrains de rugby et avait même été un joueur assez remarqué, il en avait gardé un nez brisé en deux endroits et des oreilles en choux-fleurs, ce qui pensait-il ajoutait à son charme mâle. Quand il avait manifesté son intention d’entrer à la gendarmerie, son grand père réfugié républicain de la guerre d’Espagne, et aussi anarchiste impénitent, en avait conçu un immense dépit. Mais rien n’avait pu distraire la vocation de son petit fils et les deux hommes avaient même été en froid pendant un certain  temps.

C’est à l’école de Gendarmerie que les deux garçons avaient fait connaissance. Comme ils venaient du sud ouest et qu’ils avaient le même genre de tempérament et de parcours ils étaient très vite devenus une paire d’amis. Ils avaient ensemble connu les mêmes cantonnements dans tous les coins de l’hexagone et d’outremer, les mêmes filles faciles et les mêmes cuites entre hommes, à base de pastis et autres mauvaises bières.

Mais ce qu’ils aimaient par-dessus tout, c’était ce que leur chef appelait le maintien de l’ordre dans les manifestations et qu’ils appelaient entre eux la castagne. Dans ce domaine ils étaient hautement réputés au sein de leur escadron. Ils n’avaient pas leur pareil, matraque à la main, pour disperser une cohorte de gros bras de la CGT ou d’étudiants énervés. On peut même dire qu’ils y allaient vraiment de bon cœur et malheur au manifestant qui tombait sous leur tonfa ou leurs brodequins règlementaires. Dans leurs tenues de robocop ils ne craignaient personne. Leur commandant disait d’eux, « Pépé et Paulo c’est des vrais tueurs ». De ce fait, dans toutes les missions dangereuses et délicates, les deux compères étaient à l’avant-garde.

Particularités et délicatesse…

Paradoxalement comme la timide violette exhale son parfum au plus profond des bois, nos deux amis possédaient quelques particularités inattendues, témoignages d’une délicatesse surprenante sous ces enveloppes rugueuses.  Ils dissimulaient donc soigneusement ce qui les aurait aussitôt fait traiter de tantouze et autre lopette par leurs collègues.

Paulo ne supportait pas la souffrance animale et Pépé l’avait vu recueillir et nourrir avec une patience extrême un bébé pinson tombé du nid. C’était touchant de voir cette brute se lever la nuit pour nourrir son oisillon à l’aide d’une pipette.

Quand à Pépé justement, personne ne le savait, mais il adorait les travaux d’aiguilles et il réalisait de très jolis ouvrages. Il avait ainsi offert à son chef pour sa montée en grade une ravissante tapisserie au point de croix représentant Roland à la bataille de Roncevaux. Ce que le chef ignora toujours, c’est que ce travail fin et minutieux était de la main de Pépé.

Mais hormis ces petits travers surprenants, nos deux compères étaient exactement comme on attendait qu’ils soient, c’est-à-dire des brutes, sommairement domestiquées par l’organisation militaire.

Ce décor en place l’histoire que je vais vous conter ne vous en semblera que plus belle.

Cette fin d’année là, l’escadron de Pépé et Paulo cantonnait du côté de Calais. La mission était simple, pourchasser les sans papiers pour permettre leur reconduite à la frontière.

Et des sans-papiers, à Calais, il y en avait beaucoup. Paulo et Pépé s’étaient très vite distingués dans cette drôle de chasse. Ils en avaient capturé des malheureux, et de tous les coins du monde. Ils avaient arrêtés des Indiens, des Africains, des Slaves, des Roms, tous plus maigres et désespérés les uns que les autres. De temps en temps, il y avait bien un peu de rébellion, mais que peut, un Afghan chétif et épuisé face à deux robocop surpuissants et survitaminés.

Bref, nos deux compères commençaient à trouver le jeu un peu trop facile. Ils avaient beau se répéter ce qu’on entendait partout, que « la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde » ils commençaient à n’en plus pouvoir de ces cohortes de niakoués, négros et autres crouïas.

Un soir, vers la fin décembre, ils patrouillaient du côté du port dans leur fourgonnette vers les 22h00. Il faisait un temps glacial, moins deux degrés affichait le thermomètre de leur véhicule, et le vent tourbillonnait, impitoyable. Ils terminaient leur journée et pensaient déjà à toutes les bières qu’ils allaient écluser avec les collègues.

Soudain, Pépé fît remarquer deux ombres qui cheminaient le long de la route, cherchant un passage sous les barbelés pour s’approcher des conteneurs du terminal. « V’là deux clients Paulo ». « Et merde j’en ai marre de ce sport ». Mais quand on est un gendarme mobile discipliné et bien entraîné, on suit les ordres. Et les ordres étaient, tout suspect est arrêté, contrôlé, et si nécessaire envoyé au centre de rétention.

Le gyrophare de la fourgonnette s’alluma. Les deux suspects, un homme et une femme noirs et d’apparence frêles et jeunes, 17 ou 18 ans, se mirent à courir. Pas très longtemps car la femme semblait malade. En fait on ne peut pas dire malade mais plutôt extrêmement enceinte, et frigorifiée aussi et terrifiée en outre.

Son compagnon mal protégé par un pauvre coupe-vent, prit une position offensive qui n’avait vraiment rien d’effrayante. Ils étaient au bout du rouleau tous les deux. Ils ne firent pas de résistance pour monter à l’arrière du fourgon. Paulo mit le chauffage à fond et une bonne chaleur emplît l’habitacle. Il restait un fond de café chaud dans la thermos, que les captifs acceptèrent sans se faire prier. C’était un très joli couple.

Elle, mal protégée par des vêtements d’été et un petit imperméable fatigué, offrait un visage épuisé mais charmant, grands yeux, traits purs ou trainaient encore des restes d’enfance. Lui, un peu plus âgé, 22 ou 23 ans peut être, montrait un air sérieux et résolu, toujours attentif à sa compagne. Ils n’avaient pas de papiers, mais ils expliquèrent sans trop se faire prier, dans un mélange d’Anglais et de gestes, qu’ils venaient d’Angola et qu’ils étaient mariés.

Il s’appelait Joao et elle Maria, ils avaient quitté leur pays pour trouver de quoi survivre. Paulo et Pépé regardaient ces deux drôles d’oiseaux avec un mélange de colère et de pitié. Qu’est-ce qu’ils étaient venus foutre là, surtout elle d’ailleurs. Et justement c’est à ce moment qu’elle poussa un petit gémissement, « putain Paulo, cette conne pisse dans la fourgonnette », « mais non crétin, elle vient de perdre les eaux, elle va accoucher cette nana ». « Foutons le camp à l’hosto en vitesse ».

Mais il était trop tard pour bouger, le travail commençait.

Faut dire qu’elle était courageuse la petite à peine une plainte ou deux et 15 minutes plus tard elle mettait au monde une belle petite fille. Mais nos deux pandores étaient un peu perdus, ils emmaillotèrent le bébé dans une serviette éponge et dans un tricot pendant que la maman se reposait. Comme le plancher de la fourgonnette était trop froid et sale ils posèrent au sol un de leurs boucliers d’émeute sur lequel ils couchèrent le bébé. Il y eût un conciliabule entre les deux gendarmes, «Et maintenant, on va où ? On fait quoi ? » demanda Pépé. « Laisse-moi réfléchir, » répondit Paulo. Et cette satanée radio qui était encore en panne, pas moyen d’appeler le PC. La neige tombait, il allait falloir prendre une décision. Le temps avait passé très vite et il était près de minuit. La zone était déserte, déserte et sinistre. Pas âme qui vive.

Soudain, une lueur, une voiture s’approchait dans le lointain. Un véhicule de SOS médecins. C’est le docteur Dasilva dit Pépé. Jean-Charles Dasilva, médecin généraliste à SOS médecins était bien connu dans tout Calais. Il s’était particulièrement fait connaître dans le soutien aux clandestins et à ce titre il n’était pas très ami avec la police.

Paulo arrêta le véhicule. Il salua le médecin, « Bonsoir docteur, on a deux clients dans le véhicule qui auraient besoin d’être vus par vous ».  « Bonsoir, de quoi s’agit-il ? » questionna le médecin, « je suis pressé, on m’attend ». « Juste un coup d’œil docteur » lui demanda Paulo.  Le toubib fût stupéfait par le spectacle dans le fourgon, un tout petit bébé, entouré de sa mère, épuisée, de son père, et des deux molosses. Il ne put réprimer un sourire, il y a tout ici pensât il, même l’âne et le bœuf.

« Félicitations messieurs, je ne sais pas lequel d’entre vous a assisté cette personne, mais vous pouvez envisager de vous reconvertir comme sage femme ».  « Vous foutez pas de nous docteur, dit Pépé, la petite a fait quasiment tout toute seule, elle est rudement courageuse ».  « Comme on dit en ces circonstances, la mère et l’enfant se portent bien » dit le médecin. « Qu’allez vous faire de ce petit monde ? poursuivit-il ». « Normalement on doit les emmener au centre de rétention » dit Paulo, « c’est la consigne ».

« Ils sont au bout du rouleau, vous croyez vraiment que c’est le meilleur endroit pour une jeune accouchée et un nouveau-né ? » rétorqua Dasilva. Les deux pandores ne répondirent rien. Le médecin poursuivit « Écoutez messieurs, si vous voulez, j’ai une  solution, je récupère ces gens, dans une heure, ils auront à manger, un lit chaud et la petite fille aura été baignée, et vous n’en entendrez plus parler, laissez leur cette chance, vous voyez bien qu’ils n’en peuvent plus ».

Pépé et Paulo échangèrent un bref regard. « Docteur, » dit Paulo, «Je crois qu’on va faire une énorme connerie, vous allez emmener ces gens et disparaître au plus vite avant qu’on ne change d’avis », « Ok Messieurs, on y va répondit Dasilva », un bref conciliabule en Portugais que Dasilva, en enfant d’immigré qu’il était, parlait un peu et les jeunes parents, le père soutenant sa femme, celle-ci portant sa fille se levèrent pour franchir la porte de la camionnette.

Ils avaient à peine posé les pieds sur la route qu’un sonore «Attendez ! » claquât comme un coup de fouet. Le médecin était consterné, « Çà y est, ces salauds changent d’avis ».

Mais ce n’était pas çà du tout, Pépé fourra avec maladresse quelques billets dans la main de Joao. « Docteur, dites lui que c’est pour la petite, c’est tout ce qu’on a ».

Maria gratifia les deux gendarmes d’un gracieux « obrigado » ce qui veut dire merci en Portugais, et d’un sourire lumineux et désarmant de gentillesse. A ce moment, le docteur cru voir briller quelque chose au coin de l’œil de Paulo, une larme ? Il ne s’attarda pas et la voiture du médecin disparut bien vite dans le lointain avec son précieux chargement.

Pépé et Paulo se mirent en route eux aussi. La neige, qui n’avait pas cessé de tomber depuis plus de deux heure donnait maintenant au décor portuaire, habituellement sinistre, un côté presque féérique. « Joyeux Noël Paulo » dit Pépé à son coéquipier, « Joyeux Noël ma poule » lui répondit Paulo.

Joyeux noel

Un petit bonus en chanson

Johnny Hallyday – Mon plus beau noel

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