Mort d’Audrey : la passivité coupable des gendarmes.

L’Etat est condamné pour « faute lourde » après le meurtre d’Audrey Vella. Les plaintes répétées de la jeune femme, victime de violences conjugales, étaient restées sans suite.

Des gendarmes devant une scène de crime (photo d'illustration) (SYLVAIN THOMAS / AFP)

Audrey Vella n’aurait jamais dû mourir ! C’est en substance ce que vient de reconnaître le tribunal de grande instance de Paris en condamnant l’Etat à verser 132.000 euros à la famille de cette jeune femme de 30 ans tuée de plusieurs coups de couteau en mars 2007 par son ex-compagnon. Audrey Vella avait en effet à trois reprises porté plainte contre son futur assassin à la gendarmerie de Nanteuil (Oise) où elle habitait. Sans que cette gendarmerie réagisse.

A chaque fois, Audrey Vella avait pourtant donné des preuves irréfutables du calvaire que lui faisait subir son ex-compagnon : il n’avait jamais accepté qu’elle se sépare de lui. Ce jeune homme, Hervé Vincent-Sully, assaillait en effet Audrey de SMS tous plus menaçants les uns que les autres. Y compris lors de ses passages dans la gendarmerie de Nanteuil.

> De nombreux exemples figurent dans « Qui a tué Audrey ? », livre co-écrit par Hervé Algalarrondo et Hélène Mathieu (éditions Fayard)

Nous sommes le 23 novembre 2006, six mois avant la mort d’Audrey. Le matin, elle a reçu 83 appels et 19 texto. Epuisée, apeurée, elle va une troisième fois porter plainte à la gendarmerie. Elle montre au gendarme ses texto :

Va chez les keufs espèce de sale pute, quand je vais te voir, je vais de refaire ta gueule, vieille pute. »

A la gendarmerie où il a compris qu’Audrey se trouvait, il continue : « Commence à trouver un tuteur à ta fille. »

Si les mots ont un sens, c’est bien d’une menace d’assassinat qu’il s’agit. Qu’ont fait les gendarmes de Nanteuil ? Rien, ou presque. Ils ont juste entamé une procédure de vérification des appels émis par le harceleur, Audrey leur ayant donné son numéro de téléphone. Mais le gendarme qui a transmis la demande à l’opérateur téléphonique s’est… trompé dans la transcription du numéro.

Le gendarme interrogé lors du procès

Hervé Vincent-Sully a été condamné deux fois, en première instance et en appel, à 25 ans de prison. En appel, l’avocat de la famille Vella, Me Florand, a fait témoigner le gendarme qui a reçu la première plainte d’Audrey. Une déposition pathétique. Le gendarme a plaidé l’inexpérience : il avait 25 ans et Nanteuil était son premier poste. « Je ne savais pas qu’il fallait faire des procès-verbaux d’investigation, les plaintes, ça n’a pas été acté », a-t-il notamment déclaré. Problème : il avait un supérieur hiérarchique. Mais celui-ci n’a pas davantage réagi. Que se passe-t-il donc de si grave à Nanteuil, a demandé en substance au témoin Me Florand, pour que la gendarmerie ne se soit pas saisie du cas d’Audrey ? Réponse du gendarme :

Il y avait des accidents routiers, des camions renversés, ça prend du temps. »

Ce jeune gendarme a été sanctionné d’un blâme. Mais sa hiérarchie a été épargnée. Son supérieur direct a même été promu peu de temps après.

Même impunité du côté de la justice : le parquet de Senlis, informé, n’a pas réagi non plus. A l’audience, en appel, l’avocat général, Michel Salzman a parlé « de faillite momentanée de l’institution ».

C’est cette « faillite » que vient de condamner le tribunal de grande instance de Paris. « L’absence de réaction des services de gendarmerie a, à l’évidence, entretenu chez M. Vincent-Sully un sentiment d’impunité et l’a conduit à réitérer des actes de violence de plus en plus graves », écrit-il dans son jugement.

Pot de fleurs

Après l’assassinat de sa fille, Martine Vella s’est rendue à la gendarmerie de Nanteuil pour essayer de comprendre pourquoi. Pourquoi les gendarmes n’avaient pas bougé. Elle a été reçue par un gradé qui a bafouillé : « Vous savez, madame, les plaintes, ça va du pot de fleurs cassés… » Martine Vella l’a coupé : « Ce que vous dites est inadmissible. Pot de fleurs ! Ma fille, vous savez où elle est maintenant ? Je voudrais que vous imaginiez ce que je ressens. » La réponse du gendarme mériterait de figurer dans le « Guiness book » au titre de la réponse la plus stupide jamais faite par un membre des forces de l’ordre : « Madame, je ne peux pas savoir ce que vous ressentez, je n’ai jamais eu d’enfant assassiné ».

Hervé Algalarrondo – Le Nouvel Observateur

Source : Le Nouvel Observateur

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *