Meurtres de Montigny-lès-Metz : le gendarme, Francis Heaulme et les 6 « items »

Meurtres de Montigny-lès-Metz : le gendarme, Francis Heaulme et les 6 "items"
Francis Heaulme. Dessin d’audience du 25 avril 2017. ((Benoit PEYRUCQ / AFP))

Le mystère de sa présence devait être éclairci. A la cour d’assises de Metz, le lieutenant-colonel à la retraite Francis Hans a détaillé la « marque comportementale de Francis Heaulme ».

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Francis Hans, lieutenant-colonel de gendarmerie en retraite, a mis son costume gris, attaché les deux boutons de sa veste. Il porte une cravate pour l’occasion. Installé à la barre de la cour d’assises de Metz, l’homme a préparé son exposé. Le ton est solennel. Il commence comme il finira, en pensant aux familles de Cyril Beining et Alexandre Beckrich, retrouvés morts à Montigny-lès-Metz, le crâne fracassé, le 28 septembre 1986. Deux familles qui depuis trente ans vivent avec l’horreur de ce double drame, perdues dans des questions restées sans réponse.

Francis Hans, alors gendarme à la section de recherches de Metz, a été chargé des investigations de juillet 2000 à février 2002, quand l’affaire a été portée devant la cour de révision. Patrick Dils était condamné pour le double meurtre de Montigny-lès-Metz, la question de son innocence se posait. Il fallait y répondre. Et le mystère de la présence de Francis Heaulme devait être éclairci.

La « triple-limite »

Alors le lieutenant-colonel constitue il y a 15 ans une cellule d’enquête composée de six gendarmes, et de deux analystes criminels. Francis Hans et ses hommes analysent les 750 pièces du dossier. Se heurtent à une « triple-limite », celle qui persiste depuis l’ouverture de ce procès, le 25 avril dernier :

« Avec les années, ce sont des mémoires qui s’estompent, des avis qui s’exacerbent, nous perdons donc beaucoup de moments à tout vérifier ; le temps judiciaire nous pressent de questions précises, auxquelles il faut apporter vite des réponses ; et il y a ce mur pour les enquêteurs, cette conscience que jamais nous n’aurions de preuve matérielle. »

Voilà pour le contexte.

Les gendarmes reconstituent la scène de crime 15 ans après les faits, comme en 1986, avec les mêmes wagons de train, « nous engageons même des moyens aériens », dont le président Gabriel Steffanus diffuse les clichés à l’audience. Francis Hans explique

« La première des constatations évidentes que nous faisons, c’est le déchaînement de violences survenu ce jour-là… J’ai fait beaucoup de scènes de crime, je n’en ai rarement vu de telles ».

Alexandre Beckrich est retrouvé, la boîte crânienne éclatée, avec son pantalon et sa culotte baissés au bas des cuisses. Cyril Beining repose sur une traverse SNCF, le visage couvert de blessures, le crâne enfoncé dans le sol.

« C’est incohérent »

Patrick Dils se prête à la reconstitution. Le gendarme précise :

« Il se trompe sur la position des corps des enfants, les positionne à 40 mètres de l’endroit où ils gisaient véritablement. Il place aussi les enfants entre le deuxième et la troisième voie de transit, ce qui n’est pas le lieu de leur découverte. Et quand on étudie ses aveux, il y a des choses traitées de manière très superficielle. »

Et puis Dils ne raconte « pas du tout s’être essuyé les mains sur un des wagons » alors qu’on en retrouve la trace. Il ne décrit pas non plus les tenues des enfants. Il n’évoque pas le fait qu’Alexandre a le pantalon baissé, il ne parle pas de la cordelette.

Surtout, Patrick Dils n’a pas de mobile. Donc, pour Francis Hans, son implication ne tient pas debout, « c’est incohérent ». Voilà, pour Dils.

« C’est Francis Heaulme qui passe là à 17h30 »

A l’audience, ce mercredi 10 mai, le lieutenant-colonel raconte comment, en 2000 seulement, ses enquêteurs sont enfin parvenus à situer précisément l’heure du « passage à l’acte ». Entre 17h15 et 18h20. Dernier signe de vie des enfants à 17h15, le 28 septembre 1986, quand un couple voit les vélos, et les gamins sur le talus. A 18h20, un couple s’arrête, voit les vélos. La femme joue avec le chien, l’homme avec sa fille. Ils restent jusqu’à 18h40. Aucun mouvement sur le talus.

« Cette analyse s’appuie sur 193 événements étudiés qui se sont déroulés ce jour-là. Et on complète ce créneau par 11 autres témoignages ou faits, qui confirment qu’aucun signe de vie n’émane. »

L’équipe de Francis Hans a bien travaillé, malgré « cette espèce de plafond de verre qui était l’absence de scellés « . Elle a apporté de nouveaux éléments : « Nous avons retrouvé un gamin qui jouait de l’autre côté du talus, à 17h30. Il voit passer un cycliste avec une tenue bigarrée, il est choqué par l’aspect de cette personne, il en même si peur qu’il n’en dort pas le soir. Il est formel, c’est Francis Heaulme qui passe là à 17h30. Et nous découvrons aussi que le tueur travaille alors à proximité immédiate de la scène du crime ».

Francis Hans en vient donc à Heaulme. Son parcours, il dit que « c’est une logique ». Né en 1959, élevé par Nicole et Marcel, ses parents, il grandit avec sa sœur Christine. Alcool et violences conjugales au programme d’une enfance passée rue Saint-Michel à Metz. Francis Heaulme a des copains mais il ne trouve pas sa place. Il fait des blagues pas drôles. On se moque de lui.

Heaulme dépose souvent plainte contre ses amis. « Ça le marginalise », dit le gendarme. Il est déjà instable, mais « un peu canalisée par sa passion pour le vélo, et puis il travaille jusqu’en 1985, même s’il est diversement apprécié, à cause de l’alcool ». La rupture intervient le 16 octobre 1984.

« L’histoire se met alors en marche »

Francis Heaulme perd sa mère, qu’il idéalise. Sa soeur Christine s’en va, son père refait sa vie. Il n’a plus de boulot. Herbergé sa grand-mère à Vaux, il se fait virer par ses oncles. « Il est en proie à tous ses démons, résume Francis Hans. 1986 est une année très compliquée pour Francis Heaulme ».

Trois semaines après le décès de sa mère, il tue Lyonelle Gineste à Pont-à-Mousson. En mai 1986, on le retrouve sur une scène de crime à Périgueux. Il est hospitalisé 11 fois en 1986. Le 12 novembre, il tente de se tuer, on le rattrape quand il va pour se jeter d’un pont. Le 30 décembre, il commet le meurtre d’Annick Maurice. « L’histoire se met alors en marche », poursuit Francis Hans.

« Il ne fait pas bon croiser la route de Francis Heaulme entre 1986 et 1992. Le risque est sérieux pour qui est en situation de faiblesse ».

Le tueur fait le tour de la France, entre mars 1988 et l’automne 1989. Il croise les chemins de Georgette et Guislaine, d’Aline, du petit Joris, de Joseph, de Sylvie. Autant de meurtres.

Les « items » de Francis Heaulme

La cellule du gendarme Hans se déplace sur chaque scène de crime, « parce que Francis Heaulme a en mémoire tous les détails, et il balade les enquêteurs grâce à sa maîtrise des petites choses ». Les enquêteurs dégagent ce que Francis Hans appelle « des items ».

Un : la scène de crime se situe souvent « dans les écarts, un champ, un bois, une plage, un espace SNCF, la plupart du temps à part de la zone urbaine ».

Deux : Francis Heaulme « détruit ses victimes » : Joris, plus de 80 coups de poings après avoir été étranglé ; Aline, retrouvée presque décapitée ; Laurence, 20 coups de couteau ; Sylvie Rossi, des coups de pieds si violents qu’ils ont détruit sa cage thoracique. Avec, souvent, « des traces de coups portés au visage ». C’est  » cette même violence qu’on retrouve à Montigny-lès-Metz », fait observer Francis Hans.

Trois : le déshabillage « total, parfois partiel, des victimes ». Francis Hans pense qu’il faut « s’interroger sur la connotation sexuelle de ces actes ».

Quatre : les hospitalisations. Elles sont nombreuses, souvent liées à des passages à l’acte.

« Elles ont en général lieu 3 à 12 jours après, et il y en a 137 jusqu’en 1992. C’est une manière pour le tueur de se mettre à l’abri des questions des enquêteurs ».

Francis Heaulme est hospitalisé 11 jours après la mort de Cyril et Alexandre.

Cinq : à chaque fois, le facteur déclenchant sa folie meurtrière, remarque le gendarme retraité, « c’est qu’il se sent agressé ». Les cris des victimes l’indisposent, l’énervent, lui font perdre ses moyens. Comme leurs tenues, si elles sont « provocantes ». Sur le meurtre de Jean Rémy, une personne dépressive, « quand ils se rencontrent à Boulogne-sur-Mer, c’est presque amical. Ils se quittent et Jean Rémy remonte de la plage, met la main sur l’épaule de Francis Heaulme alors de dos. Il se retourne, le frappe. Le tue. Imaginez donc l’état dans lequel il se met quand des gamins lui jettent des cailloux, à Montigny-lès-Metz ».

Six : il y a aussi l’alcool. « Additionné avec des médicaments, ça le met dans un trou noir », rapporte Francis Hans. Et tous ces items fabriquent « une signature criminelle, complexe et multiforme », selon le gendarme.

« Tergiverser, louvoyer, mentir »

Francis Hans a entendu trois fois Francis Heaulme dans le dossier de Montigny-lès-Metz.

« C’est un homme qui ne cesse de tergiverser, louvoyer, mentir. Mais à chaque fois, il fait presqu’un effort pour nous permettre d’avancer dans cette affaire qui nous occupe. Il dit par exemple que les jets de cailloux l’ont énervé ».

La cellule d’enquête découvre aussi qu’il travaille du 8 septembre 1986 au 8 octobre 1986 à quelques mètres du talus où les enfants ont été découverts. Que son comportement se dégrade vertigineusement après les faits :

« Il pète les plombs sur un chantier, on lui notifie son licenciement, il empoigne la secrétaire, dit au chef d’équipe ‘toi tu devrais changer de ton, parce que tu ne sais pas de quoi je suis capable' ».

Et Heaulme est capable de faire un croquis précis des lieux : « Il pose une benne, dessine parfaitement les voies de circulation, rajoute surtout le chemin qui permet d’arriver par l’arrière à hauteur du talus, il précise qu’il faut faire attention en marchant sur les voies, il y a des cailloux, et ça fait mal. Surtout, il ajoute qu’il ne peut pas tuer ces enfants tout seul ».

C’est vrai, Francis Heaulme aime bien être accompagné quand il tue. Pour le petit Joris, il est avec un brancardier par exemple. « Mais ce sont des rencontres sont fortuites, il ne s’agit pas d’une constitution d’équipe », précise Francis Hans.

« Et d’un coup, il se rétracte »

Le 30 janvier 2002, « Heaulme me dit : ‘je vais vous dire ce que j’ai vu’. Il raconte qu’il arrive, qu’il s’arrête, voit un type, petit, trapu, avec un pull à motifs et un pantalon ancien qui glisse au bas du talus, avec l’air affolé. Il dit qu’il est ‘six heures moins vingt’, qu’il n’arrive pas à rattraper le gars. Que ce n’est pas lui qui a tué ces enfants, mais ce type-là, aux yeux bleus qui rentrait dans les orbites, il était tout rouge, c’est un détraqué sexuel ».

L’homme que décrit Francis Heaulme pourrait être Henri Leclaire, mis en garde-à-vue, puis libéré, en décembre 1986. A l’époque, il avait été le premier à avouer les faits, avant de se rétracter. Francis Hans dit :

« A ma connaissance, c’est la seule personne qui a fait une description de la tenue vestimentaire de Cyril avec le t-shirt à rayures ».

Les gendarmes de la SR de Metz l’ont interpellé, ont confirmé qu’il est bien présent au pied du talus entre 17 heures et 18 heures le 28 septembre 1986. Comme Francis Heaulme. « Mais on n’obtiendra rien de lui », regrette Francis Hans. « Il a fait un malaise cardiaque, il était désorienté, incohérent ».

Le 20 février 2002, Heaulme confie « que les enfants lui jettent des cailloux, qu’il est dans un trou noir et se réveille au moment où il voit ce type, détraqué sexuel ». Pour Francis Hans, il y a là un « contact entre les deux homme ». Heaulme va jusqu’à dire avoir vu un type tuer les enfants à coups de pierres. « Et d’un coup, il se rétracte », explique le gendarme retraité. Au final, Heaulme nie le double-meurtre de Montigny-lès-Metz.

Mais 15 ans après son enquête, la conviction de Francis Hans reste celle-ci : « Nous avons la marque comportementale de Francis Heaulme » sur les faits. Mais aucun élément matériel pour le prouver.

Elsa Vigoureux

Source : L’Obs

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