Maintien de l’ordre : le rapport d’une ONG chrétienne fustige « excès » et « violences illégitimes »

violences-policieres-ongL’ONG dit toute son inquiétude vis-vis du recours de plus en plus systématique à une nouvelle tactique policière en manifestation : les nasses. – Valentino Belloni/Hans Luca

L’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT) publie un long rapport au vitriol sur les dérives du maintien de l’ordre. Malgré un ton mesuré, ce rapport n’épargne pas le ministère de l’Intérieur.

C’est un condensé des dysfonctionnements imputés au maintien de l’ordre en France. À la suite des multiples cas de blessures graves observés parmi les gilets jaunes, l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT) publie ce 11 mars Maintien de l’ordre : à quel prix ?, un rapport de 200 pages, au ton mesuré mais sans concession, sur les « excès » de l’usage de la force en France. « Violences illégitimes », blessés en surnombre, échec à assurer les libertés publiques… « L’ACAT se doit de dénoncer les usages excessifs et illégitimes de la force par les représentants de l’État », tancent les auteurs de ce rapport. Mais sans « stigmatiser » policiers ni gendarmes. Dans la continuité de sa première étude sur le sujet, datée de mars 2016, cette ONG chrétienne de défense des droits humains se positionne sur une critique constructive des dérives du maintien de l’ordre. Voici les trois points essentiels.

1. Un échec à garantir les libertés publiques

En préambule, l’ACAT prend note des nouvelles formes de mobilisation en France : interpellations directes du politique, micro-mobilisations, mais aussi infiltrations de militants violents dans le Black Bloc – sans toutefois les citer nommément – mais relativise leur violence, citant par exemple des cas de bombes artisanales utilisées par les militants à Béziers en 1975 ou les tirs de fusil-harpon des marins-pêcheurs à Rennes en 1994.

Face à ces nouveaux mouvements, qui ont pu déstabiliser la doctrine du maintien de l’ordre, le constat est édifiant : « Le recours important à des forces non spécialisées et à des armes de force intermédiaire, le nombre élevé de personnes blessées ainsi que la hausse et la cristallisation des tensions entre manifestants et forces de l’ordre témoignent d’un maintien de l’ordre qui dysfonctionne et échoue parfois à remplir sa mission première : garantir un exercice optimal des libertés publiques ».

2. LBD 40, nasses : plus de blessures

L’ONG dit également toute son inquiétude vis-vis du recours de plus en plus systématique à une nouvelle tactique policière en manifestation : les nasses. Ces cordons ont pour but d’isoler la tête d’un cortège, souvent occupée par les militants les plus turbulents. Mais pas seulement. « Les personnes nassées sont dans l’impossibilité d’en sortir et peuvent ainsi faire l’objet d’usage de la force« , déplorent les auteurs. Ils rappellent que cette tactique n’est encadrée par aucun texte légal.

Au-delà de la nasse, l’ACAT fustige le recours exagéré aux armes intermédiaires. Dites « à létalité réduite », ces armes incluent le lanceur de balles de défense 40 mm (LBD 40), les grenades à main de désencerclement (GMD) ou encore grenades assourdissantes (G2ML). Ces dernières ont pris la relève des grenades de la GLI-F4, ces fameuses grenades incluant 26 grammes de TNT, récemment sorties de l’arsenal policier.

« L’usage de ces armes paraît souvent contre-productif, générant davantage de tensions et de troubles à l’ordre public qu’il n’y apporte de solution », souligne l’ONG. Résultats imprévisibles, tirs mal cadrés : ces dispositifs ont causé des cohortes de blessés parmi les gilets jaunes. D’autant que ces derniers ont été employés « en dehors du cadre d’emploi légal », écrivent les auteurs.

L’usage des grenades désencerclantes est aussi critiqué. « La trajectoire des plots est en réalité bien moins prévisible que ce qu’annonce la fiche technique de l’arme, rendant possible des cas de blessures graves au niveau du visage. Il apparaît donc que la puissance réelle de la GMD est largement sous-estimée », disent les auteurs. Ils réclament non seulement l’interdiction des LBD40, des GMD, mais aussi de « limiter » l’usage des grenades lacrymogènes.

3. Flou sur les blesssés

Plus grave encore, l’ONG « s’inquiète du déni des autorités face à cette situation préoccupante et regrette une considération insuffisante à l’égard des personnes blessées ». Les victimes de l’usage de la force – qu’elle soit légitime ou illégitime – ne figurent sur aucun registre officiel. Alors l’ACAT fait les comptes elle-même, sur la base des articles de presse. Résultat : 78 blessés graves par LBD 40, dont 48 éborgnés. Huit mains arrachées par GLI-F4. « Les cas de torture et de mauvais traitements ne sont pas réservés aux pires dictatures », commentent les auteurs qui estiment que « le discours des autorités politiques tend à nier
cette réalité ».

Le chiffrage de cette réalité est particulièrement ardu. D’autant que les enquêtes piétinent souvent : absence d’identification du matricule des forces de l’ordre bien que ce soit obligatoire, obstructions à l’enquête… Dans l’affaire Zineb Redouane, cette Marseillaise mortellement touchée par un plot de grenade lacrymogène à sa fenêtre à Marseille, le commandant des CRS aurait par exemple refusé de communiquer aux autorités le lanceur de balle-défense, selon une enquête de Mediapart citée.

Sur tous ces cas d’usage illégitime de la force, sur toutes les blessures, l’ACAT appelle à des enquêtes sérieuses. Et face à la pluie de critiques et suspicions qui s’est abattue sur l’IGPN, la police des polices, l’ONG recommande la création d’une entité indépendante.

Source : Marianne

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