Licenciements abusifs, violences… les ardoises de la diplomatie algérienne en France

8057322_ee6b2c84-638d-11e9-b066-4bc0aefb08ba-1_1000x625Le consulat d’Algérie, à Pontoise, a été épinglé par les prud’hommes pour travail dissimulé. LP/Christophe Lefèvre

Condamné pour des violences sur les employés et le non-respect du Code du travail au sein de son ambassade et des consulats en Île-de-France, l’État algérien refuse pourtant de dédommager les victimes.

L’État algérien est-il un mauvais employeur et un mauvais payeur ? Il vient en tout cas d’être condamné à plusieurs reprises ces derniers mois pour non-respect du Code du travail sur le sol français, dans son ambassade à Paris ainsi qu’au consulat de Pontoise (Val-d’Oise). Mais les victimes n’ont jamais touché le moindre centime de dédommagement. L’Algérie se retranchant derrière son statut « d’État souverain ».

Abdelkrim a 53 ans. Ce père de deux enfants, vit à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Il est conducteur des « officiels » au sein de l’ambassade d’Algérie depuis 1990. Fin 2013, juste après un changement à la tête de cette administration, il est mis à pied, sans sommation ni explication. Après trois mois sans salaire il est rappelé, juste pour être licencié.

« Beaucoup de gens rêvent de travailler à l’ambassade, et on y rentre souvent parce qu’on est recommandé, du coup, là, il fallait sans doute placer un ami », soupire le quinquagénaire, qui « n’arrive pas à tourner la page » cinq ans plus tard, et vit avec 500 euros par mois.

Travail dissimulé

Les prud’hommes, puis la cour d’appel de Paris ont condamné la République démocratique d’Algérie à payer près de 100 000 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, mais aussi travail dissimulé : Adbelkrim travaillait souvent plus de 15 heures par jour, ses heures supplémentaires n’étaient pas comptabilisées. Mais il recevait pour cela un versement de 400 euros tous les mois depuis son embauche directement sur son compte bancaire. Sans que cette somme ne figure sur sa fiche de paye. Et donc sans que l’Algérie ne paye les charges. « Cela marche pour tout le monde comme ça dans le service », reprend l’ex-chauffeur. Une fraude à l’Urssaf généralisée.

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Au consulat de Pontoise, la méthode était différente, mais le résultat semblable. Anis, 37 ans, père lui aussi de deux enfants à Saint-Ouen-l’Aumône (Val-d’Oise), recevait un 13e mois de salaire en décembre, viré sans déclaration sur son compte en banque. Devant les prud’hommes, cet agent administratif a fourni ses relevés bancaires et ses fiches de paye.

Là encore, le Conseil constate que « l’employeur a versé des sommes qui n’ont pas été déclarées aux organismes sociaux » et épingle l’Algérie pour travail dissimulé.

Recruté en 2007, cet employé au service des passeports a lui aussi été licencié en 2016, mais après avoir été harcelé moralement, puis frappé par un vice-consul. « Son licenciement a été considéré comme nul, en théorie il est donc encore salarié, mais nous n’avons aucune réponse depuis la condamnation de la République démocratique d’Algérie », indique son avocat Me. Bijar Acar.

Plus de 200 000 euros de condamnations impayées

L’État doit verser près de 70 000 euros de dommage à Anis notamment pour « manquement à l’obligation de sécurité » : « J’ai été étranglé devant témoin par mon supérieur hiérarchique qui est un diplomate, relate-t-il. J’ai pris des coups, j’ai été insulté, on m’a poussé dans les escaliers. » Arrêté après cet « accident du travail », il demande à changer d’affectation, « mais cela a été refusé ».

On commence alors à lui décompter certains jours de sa paye, sans raison. Lors d’une visite de l’ambassadeur dans son consulat, il décide de s’ouvrir. « La seule réponse que j’ai eue de sa part, c’est : Pourquoi vous avez déclaré ces blessures à la CPAM ? et il m’a annoncé que j’étais suspendu immédiatement, pour un mois, sans salaire », s’étonne encore Anis qui sombre alors dans une profonde dépression et entame une procédure.

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Durant cette même période, à Pontoise, une autre employée administrative, qui a souhaité garder l’anonymat, a elle aussi gagné contre l’État algérien. Elle a été licenciée alors qu’elle était enceinte, simplement parce qu’elle s’était arrêtée durant quelques jours. Pour se justifier, le consulat a estimé qu’elle avait fourni des « certificats médicaux de complaisance » pour des « absences injustifiées et abandons de poste ».

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Les prud’hommes ont condamné l’Algérie à près de 50 000 euros pour « licenciement nul et méconnaissance du statut protecteur lié à la grossesse ». « Mais dans ces trois cas, la République démocratique d’Algérie refuse de payer et se retranche derrière son statut d’Etat souverain, et une immunité d’exécution », martèle Me Bijar Acar.

Qui va payer la note ?

Anis et Abdelkrim n’ont aucun recours. Malgré sa condamnation, si l’Algérie ne veut pas payer, il n’existe aucun moyen d’obliger cet État à le faire. En revanche, la troisième employée, de nationalité française, licenciée en pleine grossesse parce qu’elle avait manqué quelques jours, malgré son certificat médical, va pouvoir se retourner contre… la France, pour être indemnisée.

« Elle subit un déni de justice, c’est une atteinte à un principe d’égalité », dénonce son avocat Me. Acar qui va donc se retourner vers l’AGS : l’association pour la gestion du régime d’assurance des créances des salaires est un organisme créé pour les employés afin de les assurer contre le non-paiement des sommes qui leur sont dues, en cas de redressement ou de liquidation judiciaire de leur employeur par exemple.

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Maître Bijar Acar, avocat./LP/Philippe de Poulpiquet

« Un organisme d’État, donc en bout de chaîne ce sont les citoyens français qui vont régler la note à la place de l’Algérie », détaille Me. Acar. Comme pour la fraude généralisée à l’Urssaf, la France dispose néanmoins d’un moyen de se faire rembourser par la République démocratique algérienne, en gelant des avoirs algériens sur le sol français, des salaires, ou en saisissant des biens immobiliers appartenant à l’Algérie dans l’Hexagone.

« Mais nous n’en arriverons jamais là, pour des questions de relations diplomatiques, indique un haut fonctionnaire au ministère des Finances. Ces cas ne sont pas si rares et même si les sommes peuvent être parfois très importantes, aucune procédure n’est jamais entamée. »

Joints à plusieurs reprises le cabinet de l’ambassade et les avocats de la République démocratique d’Algérie n’ont pas souhaité nous répondre.

source : Le Parisien

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