Les deux légionnaires d’Orange perdent leur procès contre l’armée

Mis aux arrêts, les deux légionnaires avaient dénoncé à la justice des « brimades » et des « violences » subies. Leur pourvoi en cassation vient d’être rejeté.

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Leur bataille aura duré sept ans. Elle est définitivement perdue. La justice vient de refermer la procédure que deux légionnaires avaient lancée au pénal contre le chef de corps, deux officiers et un adjudant du 1er régiment étranger de cavalerie d’Orange (basé aujourd’hui à Marseille), où ils étaient engagés sous contrat. Les deux hommes du rang avaient dénoncé au parquet des faits de « violences », « outrage envers un subordonné », « soumission à des conditions de travail et d’hébergement contraires à la dignité humaine », « détention arbitraire » et « abus d’autorité par voie de fait ». Dans sa décision, la chambre de l’instruction d’Aix-en-Provence avait confirmé l’ordonnance de non-lieu de 2017 rendue par le premier juge chargé d’instruire leur plainte. Dans un arrêt du 9 mai 2019, la Cour de cassation a rejeté leur pourvoi, écartant sans autre possibilité de recours toute possibilité de poursuites.

Âgés de 26 et 27 ans au moment des faits durant l’été 2012, les deux légionnaires de nationalité française avaient saisi le procureur de Nîmes d’une plainte dans laquelle ils dénonçaient les « brimades » et les « humiliations » qu’ils auraient subies alors qu’ils avaient été mis aux arrêts. Soutenus par l’Association de défense des droits des militaires, ils y signalaient notamment les conditions de vie « indignes » dans les bâtiments réservés aux punis, baptisés « la taule », et les « abus » de la police militaire (aujourd’hui patrouille militaire) chargée de les garder.

Mode « Puni » et sans béret vert

« Alors que le Code de la défense prévoit qu’un militaire aux arrêts peut continuer à exercer son service dans des conditions normales, mes clients ont subi toute une série de violences anormales », explique au Point leur avocat, Me Élodie Maumont, spécialisée dans la défense des militaires. « Le code d’honneur du légionnaire proclame que de [sa] tenue, il sera toujours fier ; mes clients ont été privés de leur béret vert, de leur ceinturon et de leur bandeau patronymique et contraints, durant toute la durée de leur punition, de porter un chapeau de brousse totalement inapproprié en pareilles circonstances. On leur a retiré leurs papiers administratifs, leurs armoires ont été fouillées méthodiquement. De 5 heures à 22 heures, ils étaient affectés à des travaux de nettoyage à grandes eaux totalement inutiles ; en lieu et place de leur grade, on les appelait par leur nom précédé du mot puni.

Enfin, ils étaient cantonnés dans des locaux d’arrêts d’une totale vétusté, avec des toilettes ouvertes à la vue de tous. Bref, l’institution qu’ils servaient n’a eu de cesse de les stigmatiser, les traitant plus mal que des détenus de droit commun. Des billets d’écrou leur étaient d’ailleurs délivrés à chacune de leur entrée et sortie », a plaidé Me Maumont, photos et vidéos à l’appui.

Le non-lieu de 2017

Classée par le procureur, la plainte avec constitution de partie civile déposée devant le doyen des juges d’instruction de Marseille s’est soldée par un non-lieu le 18 octobre 2017, après audition de 39 témoins et placement d’un sous-officier sous statut de « témoin assisté ». La cour d’appel a confirmé le non-lieu. L’insalubrité des locaux d’arrêts ? « Ils correspondent aux pouvoirs dévolus à l’armée […] d’apporter à titre disciplinaire des restrictions à la liberté et n’entrent pas dans les prévisions du Code pénal. » La détention arbitraire ? « Il résulte de la procédure que ces mêmes locaux étaient ouverts et que la limitation des sorties est le propre des arrêts. » Les fouilles de casiers ? « Elles ne peuvent être assimilées, en l’absence de chocs physiques établis, à des actes de violence. » La tenue et le chapeau de paille ? « Pas de nature à porter atteinte à la dignité et justifiés par la nécessité de différentiation avec les autres militaires. » L’emploi du terme « puni » ? « Cette désignation d’un statut disciplinaire n’est pas de nature outrageante, pas plus que les mots de prévenu, d’accusé ou de mis en examen dans un cadre judiciaire. » Une à une, la chambre de l’instruction a refermé toutes les portes.

En dernier recours, les deux légionnaires ont formé un pourvoi en cassation. « La juridiction du second degré, après avoir analysé toutes les pièces de la procédure, a répondu par une motivation exempte d’insuffisance au mémoire déposé devant elle ; son appréciation est souveraine », a jugé le 9 mai 2019 la chambre criminelle de la Cour de cassation, qui ne juge que sur la forme, classant le dossier de manière irréversible.

Me Julien Pinelli, conseil habituel de la Légion étrangère et avocat de l’adjudant de la police militaire, directement mis en cause, a salué « une décision très satisfaisante et parfaitement conforme à la règle de droit ». « Aucun des faits reprochés ne trouvait le moindre fondement, c’est donc à bon droit que l’innocence de mon client a été reconnue », a-t-il réagi.

« La loi du silence »

« Bien sûr que nous sommes déçus, mais cette procédure n’aura pas été inutile, car elle aura permis d’améliorer le sort des camarades de mes clients », confie de son côté Me Maumont. Alors que les deux plaignants ont quitté l’uniforme et retrouvé la vie civile, un règlement du 12 juin 2014 est venu préciser les conditions requises en matière de santé et d’hygiène des locaux d’arrêts, qui doivent désormais être « maintenus ouverts ». « Pour autant, cette procédure montre qu’il est encore très difficile de combattre le système et d’y faire respecter les libertés individuelles. En particulier dans la Légion étrangère, où la délivrance du certificat de bonne conduite, qui garantit aux soldats étrangers un titre de séjour, est soumise au pouvoir discrétionnaire de la hiérarchie. Quand on veut dénoncer des manquements, on se heurte ainsi à la loi du silence, car les personnels ont peur pour leur carrière ou le renouvellement de leur contrat ; il est difficile d’obtenir des témoignages, des preuves », regrette Me Maumont. « Mais le droit progresse à l’armée, le contrôle du juge y est plus attentif, tant au pénal que devant les juridictions administratives, qui exercent depuis 2015 un contrôle de proportionnalité des sanctions disciplinaires », poursuit l’avocat.

Me Maumont se targue d’avoir obtenu, par voie de QPC (question prioritaire de constitutionnalité), la suppression des jours d’arrêt avec isolement et d’avoir fait condamner plusieurs cadres pour des faits d’injure raciale, de violences ou de harcèlement. « J’ai eu à connaître il y a deux ans une grosse affaire de harcèlement sexuel dans la gendarmerie », rapporte-t-elle. « Une lourde condamnation a été prononcée à l’encontre des auteurs, qui ont été rayés des cadres. Mais la situation de ma cliente est encore difficile ; elle reste celle qui a osé briser l’omerta. » Elle conclut : « Mes clients légionnaires gardent un profond respect pour la Légion étrangère, même s’ils l’ont quittée. Ce qu’ils ont voulu dénoncer, c’est le comportement et les dérapages de quelques petits chefs. La justice ne leur dit pas qu’il ne s’est rien passé, mais que les faits dénoncés ne relèvent pas d’une qualification pénale. Comme si un certain degré de violence y était encore toléré… »

Source : Le Point

 

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