Jihadistes libérés: la nouvelle menace

Dès cette année, des terroristes emprisonnés vont sortir. Plus d’une centaine de levées d’écrou seront prononcées dans les deux ans. Une gageure pour les services de renseignement qui doivent prendre le relais de la prison

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Les Faits – En 2020, 43 détenus, ayant purgé leur condamnation pour terrorisme, seront libérés. Rachida Dati, comme d’autres élus LR, veulent étendre au jihadistes la rétention de sûreté, aujourd’hui prévue pour les criminels sexuels. Déjà ultra sollicités, les services de renseignement vont devoir faire face à ce défi sans précédent.

L’attaque au couteau de Londres en novembre est un scénario cauchemar : un individu condamné en 2012 à 16 ans de réclusion criminelle pour préparation d’un attentat, libéré en 2018 sous bracelet électronique… qui tue deux personnes après avoir participé à un programme de déradicalisation. Depuis des semaines, les spécialistes du terrorisme tirent la sonnette d’alarme. Et pas des moindres quand il s’agit de l’ancien procureur de Paris François Molins, à la tête du parquet pendant toute la période des attentats, ou du coordinateur du renseignement. Le spectre d’un attentat commis par un sortant de prison est dans toutes les têtes. Le drame du London Bridge, revendiqué par Daech, a même un précédent de ce côté-ci de la Manche. En 2016, c’est un condamné sous bracelet, ayant tenté plusieurs fois de rejoindre la Syrie, qui égorgeait le père Hamel à Saint-Etienne-du-Rouvray.

La question prend aujourd’hui un relief particulier. Dès cette année, 43 terroristes, ayant purgé leur peine, vont sortir des prisons françaises. Plus d’une centaine de levées d’écrou seront prononcées dans les deux ans qui viennent. Un flux massif, une gageure pour les services qui doivent prendre le relais de la prison. Lundi dernier, à sa libération, cette réalité a pris le visage de Flavien Moreau, jihadiste ayant intégré une « katiba » (cellule de combattants) en Syrie, qu’un expert psychiatre décrivait en ces termes en 2013 : « imperméable à la critique […], méfiant, […] qui se sent l’objet d’une persécution ». Le 1er janvier, c’est un autre gros « profil » qui quittait sa cellule : Mohamed Achamlane, fondateur du groupe islamiste Forsane Alizza, ayant écopé en 2015 de neuf ans de prison pour association de malfaiteurs et détention illégale d’armes.

Contrôle administratif. Au ministère de l’Intérieur comme à la Chancellerie, ce dossier des « sortants » est évidemment sur le haut de la pile. L’élargissement de Flavien Moreau a été anticipé. L’homme de 32 ans a aussitôt fait l’objet d’une « mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance », explique-t-on Place Beauvau, qui l’oblige à pointer tous les jours auprès des autorités et à ne pas quitter sa commune. Comme plus de deux cents islamistes sous le coup de cette assignation à résidence renforcée prévue par la loi de 2017 sur la sécurité intérieure. « Pas besoin de modifier les textes », complète-t-on au cabinet de la garde des Sceaux qui mentionne l’association de malfaiteurs terroriste criminelle, infraction prévue depuis la loi du 21 juillet 2016.

Le constat est exact. Tout un arsenal législatif existe déjà. Mais, dans les faits, sans parler d’un illusoire risque zéro, plusieurs failles existent. Tout d’abord parce que les volumes ont changé. Désormais, « on ne parle plus d’une douzaine d’individus comme à l’époque de la guerre en Bosnie, mais de milliers de cas », insiste le chercheur Hugo Micheron, auteur de Le Djihadisme français (Gallimard, janvier 2020). Quelque 500 jihadistes, dont 45 femmes, sont aujourd’hui en détention provisoire ou purgent leur peine en France. Pour moitié, ils avaient rejoint les rangs de Daech. S’y s’ajoutent environ 1 300 prisonniers de droit commun radicalisés et 3 000 détenus qui « interpellent les autorités » compte tenu de leur comportement en détention. Sans compter les 100 à 150 Français toujours détenus « sur zone » pour lesquels la garde des Sceaux Nicole Belloubet a évoqué l’hypothèse d’un rapatriement faute de pouvoir organiser leur procès en Irak. Le sur-mesure devient compliqué face à un tel phénomène de masse.

Bon nombre des terroristes qui s’apprêtent à quitter la prison dans les prochains mois sont des « pionniers » occidentaux du jihad, partis parfois dès 2012 vers le Levant, et condamnés à des peines relativement faibles, six ans en moyenne. A l’époque, la capacité de nuisance de l’Etat islamique et leur degré de dangerosité étaient sous-estimés. « Aux Etats-Unis, dès le moindre doute, la moindre suspicion de récidive, les tribunaux collent vingt-cinq ans », note Hugo Micheron. En France, en revanche, le débat sur l’échelle des peines n’est pas clos. Récemment, le parquet antiterroriste comme les services spécialisés se sont émus de verdicts de la cour d’assises, trop cléments à leurs yeux. Un combattant et poseur de bombes pour Daech, Lahcen Zligui, vient ainsi d’être condamné à douze ans de réclusion criminelle alors que dix-huit ans, assortis d’une période de sûreté, avaient été requis. Selon Le Figaro, sa « coopération pendant l’enquête et l’instruction » et « ses regrets qui apparaissent comme sincères » ont guidé les juges.

Rétention de sûreté. A droite, c’est la solution de la rétention de sûreté, mesure adoptée sous Nicolas Sarkozy et jusqu’ici réservée aux criminels sexuels, qui est mise en avant. Député LR des Bouches-du-Rhône, Eric Diard, vient de déposer une proposition de loi en ce sens à l’Assemblée nationale, comme l’avait fait auparavant son collègue Eric Ciotti. L’ex-ministre de la Justice Rachida Dati la préconise aussi. La rétention de sûreté, qui permet donc de prolonger la détention, est prononcée par un collège d’experts, après évaluation. Largement critiquée pour son « concept flou » de « dangerosité » et son application potentiellement illimitée, la mesure présente, en outre, un « inconvénient » majeur : elle n’est pas rétroactive. S’il n’est pas question de l’appliquer aux détenus déjà condamnés, elle pourrait concerner des profils tels Salah Abdeslam dont le procès pour les attentats de novembre 2015 est programmé en 2021.

L’exécutif est confronté à un autre « faille » majeure : l’échec de la déradicalisation en prison. Le constat est quasi unanime, à de rares exceptions près, les terroristes ne se sont pas amendés derrière les barreaux. C’est au contraire une « ENA du jihad » que décrit Hugo Micheron après avoir rencontré quatre-vingts détenus pour ses travaux de recherche. L’avocat Thibault de Montbrial est, lui, encore plus pessimiste : « Un sur cinquante est peut-être sincère. Pour les autres, c’est la tactique de la dissimulation qui prédomine. A les écouter, ils ont tous été “cuisiniers” ou “infirmiers” chez Daech… Mais, à la décharge des tribunaux, les preuves manquent parfois pour faire tenir un dossier. On n’a que des “renseignements ” ou des notes de la CIA ».

« C’est l’ensemble de l’appareil judiciaire qui fait preuve de naïveté, en tout cas d’un manque de lucidité. Le danger reste sous-estimé », renchérit l’islamologue Gilles Kepel.

Sondages. Dès à présent, les services de renseignement sont donc en première ligne. A charge pour eux de surveiller, détecter, et parfois recruter quand les profils s’y prêtent… Mais là encore, les ordres de grandeur ont changé. Il s’agit désormais d’avoir dans les radars des centaines d’individus. Et, faute de moyens – le ratio est de 23 fonctionnaires pour un individu observé 24 heures sur 24… – d’en surveiller en permanence quelques dizaines. Désormais, les services opèrent davantage par « sondage ». Un suspect sera observé pendant trois jours, mis sur écoutes pendant une semaine. Si rien n’est à signaler, ils passent à une autre cible. Le criminologue Alain Bauer tempère : « Le renseignement quantitatif, c’est bien ; le qualitatif, c’est mieux. Avant Charlie Hebdo, les frères Kouachi avaient enfumé les policiers et Amedy Coulibaly, le tueur de l’Hyper Cacher, véritable danger public, était sorti de prison sans aucun suivi… »

Dans son livre, Hugo Micheron démontre clairement qu’après la case prison, les « doctrinaires » endurcis entendent poursuivre le jihad hors les murs, auprès de la communauté musulmane en « discréditant le contrat social français et son modèle d’intégration républicaine ». La volonté affichée par Emmanuel Macron de lutter contre les dérives communautaristes et l’islam radical n’est pas étrangère à ce constat.

Source : L’Opinion

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