Jean-Hugues Matelly : « Il faut un statut associatif sur mesure pour les militaires »

Le lieutenant-colonel revient sur la récente décision de la CEDH en sa faveur et qui accorde aux militaires le droit de se constituer en association.

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Le lieutenant-colonel de gendarmerie Jean-Hugues Matelly © VALINCO/SIPA

C’en est fini de l’interdiction du syndicalisme dans les armées ! Le 2 octobre, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) rendait deux arrêts décisifs en ce sens, dont un en faveur de Jean-Hugues Matelly, l’officier de gendarmerie qui avait subi de fortes pressions de sa hiérarchie pour qu’il quitte l’association Forum gendarmes et citoyens, qu’il avait mise sur pied en 2008 afin que les gendarmes en activité ou en retraite y trouvent un lieu d’expression.

Le Point.fr : La Cour européenne des droits de l’homme vous a donné satisfaction contre l’État : les militaires ont le droit de se constituer en association, y compris syndicale. Cette décision vous a-t-elle étonné ?

Lieutenant-colonel Jean-Hugues Matelly : Je l’attendais en fait avec sérénité, car toute la doctrine juridique française me donnait confiance. Pour ne citer qu’elle, la thèse de la juriste Clara Bacchetta sur la liberté d’expression professionnelle des militaires est particulièrement explicite. Tous les experts, tous les manuels sur les libertés publiques, expriment des opinions conformes sur ces points, mais elles n’avaient jamais été testées concrètement devant la CEDH. En toute hypothèse, j’envisageais donc un recours gagnant. Bien qu’il ne s’agisse pas de « gagner », mais de faire avancer les libertés publiques.

Vous avez donc le droit de constituer une association. Allez-vous reprendre vos activités autour du Forum gendarmes et citoyens, réactivé sous une nouvelle forme depuis le 4 octobre ?

Sur le plan purement juridique, l’arrêt de la CEDH n’est pas encore définitif. Il ne le sera que si aucune des parties ne demande le renvoi devant la Grande Chambre, formation de jugement la plus solennelle. Chaque partie a trois mois pour le faire. Le gouvernement français ira-t-il chercher ce contentieux ? Je n’en suis pas certain. Lorsque le jugement sera définitif, il sera possible de constituer des associations professionnelles, comme il en existe déjà. Je pense notamment à l’Adefdromil, très présente pour soutenir les militaires à titre individuel. Pour ce qui nous concerne, nous avons effectivement remis en ligne le forum, mais nous n’avons pas constitué d’association. C’est tout le paradoxe de cette affaire : à l’époque, nous n’avions pas créé une association professionnelle, mais une association soutenant un forum internet.

Quand cet arrêt sera devenu définitif, que changera-t-il concrètement pour les gendarmes et les autres militaires ?

Il est nécessaire que les pouvoirs publics se préparent à cette innovation et organisent la transition. Dans le cas contraire, des associations se constitueraient sous le statut de la loi du 1er juillet 1901, si large qu’elle intègre les partis politiques ! Si on veut des structures préservant les valeurs et les modes opérationnels absolument nécessaires au fonctionnement des forces armées – je pense par exemple à la discipline -, il faut absolument revenir au travail législatif et revoir le Code de la défense en remplaçant l’article L 4121-4. Il ne s’agit pas non plus de compléter le Code du travail, suffisamment épais comme ça. À mes yeux, il convient de préparer un statut sur mesure pour les militaires.

Vous n’aimez guère parler de votre situation personnelle. Néanmoins, vous êtes toujours officier supérieur, lieutenant-colonel en activité de service. Pouvez-vous nous préciser votre statut et le sort que vous a réservé la gendarmerie, durant la procédure et aujourd’hui ?

Il est évident que j’ai subi les conséquences de mes choix, en termes de mobilité géographique et fonctionnelle ou d’avancement. Cela ne me cause aucun souci, je l’assume pleinement, suivant le dicton : on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Les options que je défends sont essentielles – à mon sens – pour les forces armées des démocraties du XXIe siècle, c’est tout ce qui m’importe. Pour être complet, je vous précise que je suis en poste à la Direction générale de la gendarmerie nationale, où les choses se passent pour moi de la manière la plus normale possible dans les relations de travail. J’ai une pile de dossiers sur mon bureau ! C’est tout à l’honneur de la communauté militaire et de la gendarmerie. J’imagine que mes caractéristiques atypiques d' »électron libre » auraient pu contribuer à m’ostraciser. Tel n’est pas le cas. Cela ne veut pas dire non plus que tout le monde partage mon point de vue…

Source : Le Point

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