« Fin de partie » pour l’hydroxychloroquine ? Une escroquerie intellectuelle

     Nous vous recommandons cet article d’un chercheur spécialisé qui confirme, outre l’étude bidon du Lancet, le peu de fiabilité de la plupart des journaux scientifiques, pollués par les gros intérêts des laboratoires, déjà souligné dans un commentaire.
     Avec cet article récapitulatif la réalité détaillée apparaît au grand jour et il conviendra de renvoyer à ce texte tous ceux (surtout journalistes fainéants)  car ils ne lisent pas les études qu’ils commentent mais doivent se contenter des dépêches d’agences et des résumés qui comme pour le GIEC ne reflètent pas  le corps des études.  Au point que certains chercheurs démissionnent et menacent même de poursuites judiciaires si on ne retire pas leur nom du rapport du GIEC.
      Dans l’article l’auteur met même en cause Fabrice Arfi un des enquêteurs vedette de Mediapart (dans les affaires politiques) qui sur ce coup a dû faire comme tous ses confrères foireux, céder à la facilité plutôt qu’à l’investigation…

la-revue-prescrire-alerte-sur-la-dangerosite-potentielle-de-la-chloroquine-1368334

Durant le week-end de l’Ascension, la quasi totalité des journalistes se sont jetés sur un article de la revue The Lancet, pour lui faire dire ce que les auteurs de cette étude espéraient : l’hydroxychloroquine est un poison. Traduction en langage People dominant : le prof. Raoult est un dangereux charlatan. Ce traitement médiatique est honteux. Et cette étude est une escroquerie intellectuelle.

La Science, c’est un peu comme Dieu, certains parlent en son nom quand ils veulent croire que leur argument est « définitif ». Las, les choses sont un peu plus compliquées. L’idéal scientifique existe bien entendu, dans toute sa noblesse, et on le défend ici. Mais la seule réalité tangible, ce sont les chercheurs. Et ils ne sont pas toujours incorruptibles.

Ce week-end de l’Ascension (décidément !) aura été marqué par une nouvelle vague de discours commentant l’idée selon laquelle une publication majeure démontrerait que le protocole thérapeutique de l’équipe du professeur Raoult serait non seulement inefficace, mais de surcroît dangereux. On peut parler d’une sorte d’offensive industrialo-médiatico-politique majeure et réussie tant la couverture donnée à un article de la revue médicale anglaise The Lancet a été totale, ultra-rapide, uniforme et immédiatement suivi d’un effet politique. A cela quatre raisons majeures. La première est le « coup scientifique » parfaitement réussi par quatre médecins financés par des industriels. La seconde est la machine à copier-coller qu’est devenue le journalisme contemporain. La troisième réside dans le mélange de couardise et d’hypocrisie de tous celles et ceux qui sont prêts à sauter sur n’importe quel argument pour conforter leur opinion initiale, sans jamais la questionner ou la mettre à jour. La quatrième raison est que le ministre de la Santé, Olivier Véran, en a profité pour annoncer tout de suite (sur twitter, le 23 mai à 12h47) : « Suite à la publication dans The Lancet d’une étude alertant sur l’inefficacité et les risques de certains traitements du #COVID-19 dont l’hydroxychloroquine, j’ai saisi le @HCSP_fr pour qu’il l’analyse et me propose sous 48h une révision des règles dérogatoires de prescription ». Comme s’il n’attendait que ça, et en passant par-dessus l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament dont c’est pourtant la fonction. Une précipitation étonnante, d’autant qu’on a connu le même ministre beaucoup moins rapide sur d’autres sujets importants, la question des masques par exemple…

Le grand concert médiatique

L’offensive débute vendredi 22 mai en fin d’après-midi, veille de week-end et au milieu d’un « pont » (donc il y a moins d’infos et moins de journalistes dans les salles de rédaction), probablement comme d’habitude par des dépêches d’agences de presse, ensuite reprises en boucle sur le thème « Covid: hydroxychloroquine et chloroquine pas efficaces et même néfastes, selon une étude ». Les articles tombent les uns après les autres sur les sites des grands quotidiens : Libération (22 mai, 18h36), Le Figaro (22 mai, 19h30), Le Parisien (22 mai, 19h35), Le Monde (22 mai à 21h19). Les radios ne sont pas en reste dans la soirée (par exemple RTL 22 mai à 21h55).

Dès le lendemain matin (23 mai), le relais est pris par les radios-télévisions et, par ailleurs, par la presse quotidienne régionale (par exemple Le Télégramme et La Voix du Nord, d’autres comme La Dépêche avaient même réagi dès la veille au soir). Pour France Info, c’est « une étude inquiétante » (à cause des effets mortels) qui est sortie. Sur BFMTV, on a bien invité Philippe Douste-Blazy qui critique la méthodologie de l’étude du Lancet (avec une erreur d’interprétation, corrigée par l’ancien ministre de la santé sur twitter) et dénonce clairement les conflits d’intérêt avec les industries pharmaceutiques. Mais pendant qu’il parle s’affiche en gros titre en bas de l’écran : « Chloroquine : l’étude accablante ».

Les « JT » de 20h de TF1 et France 2 viendront clôturer deux jours d’intense diffusion dont la teneur générale semble avoir été résumée par Le Point : « Covid19 et hydroxychloroquine : fin de partie ? » (23 mai, 9h51).

Confirmant la règle, on ne trouve guère d’exceptions. Citons quand même la chaîne de télévision LCI et Sud Radio, comme s’en explique une éditorialiste commune aux deux médias, Françoise Degois : « voilà le déchaînement des raisonnables, des progressistes, des sages, des pondérés, qui envahissent les plateaux et ricanent : voyez, on vous l’avait bien dit ! C’est terminé pour le sorcier Raoult, les complotistes, les populistes, vous êtes cuits ! Comme si on ne pouvait pas avoir de la sympathie pour le goût et la passion de sauver des vies de Didier Raoult sans être complotiste, populiste et irrationnel ! (…) lyncher Didier Raoult, sur la base de cette étude est assez grotesque ». Citons aussi TV5-Monde, sous la plume de Oumy Diallo et pour cause : ce journaliste couvre d’ordinaire l’actualité des pays africains et du Proche-Orient, il échappe donc au marigot franco-français (ce qui n’est pas le cas de Courrier International).

Sur les réseaux sociaux, certains journalistes se « lâchent » encore plus. C’est par exemple le cas de Fabrice Arfi, membre important de la rédaction de Mediapart et journaliste influent (230 000 abonnés sur twitter), qui, dès le 22 mai au matin, consacre pas moins de 4 tweets au sujet (bigre !) sur un ton méprisant : « Une étude réalisée à partir de 15.000 cas et publiée dans une revue de référence démontre, comme cela a déjà été avancé, que le traitement vanté par Didier Raoult, de nombreux politiques français et Donald Trump est inefficace contre le Covid. La science contre la croyance » (tweet du 22 mai, 9h27). Le but est bien entendu aussi de justifier la position prise dès le début de cette affaire par la direction de ce journal d’investigation d’ordinaire peu conformiste mais qui se révèle ici encore moins critique ou nuancé que les médias mainstream qu’ils dénoncent habituellement : « Et cette étude montre que la Chloroquine, en plus d’être inefficace, est potentiellement dangereuse pour lutter contre le Covid. Exactement ce que @p_pascariello avait, comme d’autres, raconté dans Mediapart avant de devenir la cible d’un harcèlement de croyants pro-Raoult » (tweet du 22 mai, 9h31). On sent le journaliste très impliqué.

Tous ces articles, sujets, chroniques, etc., disent la même chose. La seule réflexion méthodologique qu’ils contiennent parfois est celle que les auteurs de l’article du Lancet reconnaissent eux-mêmes explicitement : leur étude n’est pas randomisée. Personne ne va plus loin. On cherche désespérément les « journalistes scientifiques » capables d’analyser le papier du Lancet avec un tant soit peu d’esprit critique.

L’étude du Lancet : énorme quantité, infime qualité

Ce sont à l’évidence les chiffres qui ont impressionné les journalistes : les 4 auteurs de l’article du Lancet (bizarrement des cardiologues voire chirurgiens cardiovasculaires et non des infectiologues ou des épidémiologistes) annoncent avoir analysé 96 032 dossiers médicaux émanant de 671 hôpitaux sur les 6 continents. Cela peut impressionner les esprits faibles. Le problème est que la quantité ne fait pas la qualité. Loin s’en faut.

Comment une telle étude a-t-elle pu être réalisée, doit-on d’abord se demander ? Les dossiers de malades ont été étudiés jusqu’au 14 avril, et l’article est publié définitivement le 21 mai, signé par 4 auteurs (trois américains et un suisse). Des sur-hommes ? Quiconque a un peu de pratique scientifique se dit immédiatement qu’il est juste impossible d’avoir, en moins de 5 semaines, fait à quatre la sélection de 96 000 dossiers de malades provenant de 671 hôpitaux sur 6 continents dans une base de données (dont on ne sait rien, on va y revenir), le nettoyage de ces données et leur codage uniformisé dans une base destinée à la publication scientifique, l’analyse statistique, la rédaction de l’article, le processus de reviewing (qui suppose normalement plusieurs allers-retours entre les auteurs, les évaluateurs et la rédaction en chef de la revue) et finalement la publication. Ce serait en réalité impossible si, derrière les 4 signataires de l’article, ne se cachait pas une armée de petites mains ayant constitué un fichier, fait les traitements statistiques et probablement écrit en partie l’article. Et il ne peut y avoir qu’une seule armée : celle des sociétés qui ont financé cette étude, qui a dû coûter des centaines de milliers voire des millions d’euros. Ceci est en partie indiqué à la fin de l’article : l’analyse statistique a été réalisée par la société (Surgisphere Corporation, spécialisée dans « l’intelligence artificielle et le Big Data destinés aux prestataires de soins de santé ») créée par l’un des 4 auteurs (et qui fabrique aussi des tests contre le Covid). Le Dr Mehra, auteur principal de l’article, déclare avoir reçu des fonds d’une douzaine de laboratoires et d’industriels (Abbott, Medtronic, Janssen, Mesoblast, Portola, Bayer, Baim Institute for Clinical Research, NupulseCV, FineHeart, Leviticus, Roivant et Triple Gene). Un troisième auteur a travaillé pour les industriels même si c’est son université qui a été payée et non lui. Finalement seul 1 des 4 auteurs « declares no competing interests » (ne déclare aucun intérêt concurrent). Or cette déclaration obligatoire est à la fois révélatrice mais aussi largement incomplète, on y reviendra à la fin de cet article. Mais pour l’heure, examinons le contenu.

On a donc voulu faire ici de la quantité pour la quantité. Mais en agglomérant forcément des données très disparates, très hétérogènes, issues de pays ayant des protocoles différents, des indicateurs de santé et des systèmes de contrôles (monitoring) de ces indicateurs en partie différents. Les auteurs de l’article ne peuvent du reste pas le cacher : il y a beaucoup de « missing values » (valeurs manquantes). Et ceci n’est pas un « détail ». C’est au contraire extrêmement important. Pour au moins trois raisons :

1- On ne connaît pas l’histoire des malades, on ignore la date de leur infection au Covid, on n’est pas certain que toutes les comorbidités possibles aient été dépistées dès leur entrée à l’hôpital (et on verra que quand elles le sont, les chiffres donnés ne sont pas crédibles).

2- Les dosages et les durées de traitement ne sont pas systématiquement précisées alors que ce sont deux critères absolument fondamentaux pour pouvoir juger l’intérêt d’un traitement ainsi que ses éventuels effets secondaires néfastes. Pour exemple, parmi ces 96 000 patients, les auteurs ont inclus la cohorte qui avait déjà donné lieu à une publication lamentable (dont on a parlé sur ce blog en avril) portant sur des vétérans de guerre, très âgés et très à risques, tous hospitalisés dans un état grave, pour lesquels l’administration à forte dose de l’hydroxychloroquine est évidemment totalement contre-indiquée !

3- Un flou règne sur la nature exacte des médicaments prescrits : les auteurs parlent de 40% de coprescriptions d’antiviraux (et donc pas uniquement la chloroquine ou l’hydroxychrloroquine, mais quels sont ces autres antiviraux ?) et d’une association avec famille d’antibiotique (les macrolides) et non avec l’antibiotique précis (l’azithromycine) du protocole Raoult. Et d’ailleurs, au passage, pourquoi cette focalisation sur le protocole Raoult alors que la méga-base de données hospitalière utilisée contient nécessairement des patients traités avec aussi d’autres médicaments (Kaletra et surtout… Remdesivir) ? Pourquoi si ce n’est parce que l’intention fondamentale de l’article (et ce sur quoi portera bien toute la communication faite autour de l’article une fois publié) n’est pas d’évaluer les thérapeutiques du Covid en général mais d’essayer de discréditer le protocole Raoult en particulier ? Au demeurant, les taux de mortalité et d’accidents cardiaques à l’issue des traitements (spécialement ceux qui combinent chloroquine/macrolide et hydroxychloroquine/macrolide) sont énormes (22 à 24% de mortalité ! près de 50 fois plus qu’à l’IHU de Marseille !), du jamais vu. Ils sont manifestement destinés à faire peur. On n’a jamais rien vu de tel dans les études sur le sujet.

Au final, comment prétendre tirer parti de cette étude pour démontrer la nocivité de l’hydroxychloroquine lors même que, de l’aveu final des auteurs : « Bien que nous ayons évalué la relation entre les régimes de traitement médicamenteux et l’apparition d’arythmies ventriculaires, nous n’avons pas mesuré les intervalles QT, ni stratifié le schéma d’arythmie (comme la torsade de pointes). Nous n’avons pas non plus établi si l’association entre le risque accru de décès à l’hôpital et l’utilisation des traitements médicamenteux est directement liée au risque cardiovasculaire, ni effectué une analyse dose-réponse des risques observés ». En clair : ils ne peuvent établir strictement aucune relation de causalité quelconque entre les traitements et les éventuels problèmes cardiaques constatés. Tout ça pour ça ? Et la suite est pire.

Une étude en fin de compte nettement plus faible que celles de l’IHU de Marseille

En réalité, cette charge anti-hydroxychloroquine et son intense médiatisation rejouent une partition déjà entendue maintes fois depuis le mois de mars. On refait le coup de l’étude portant des patients déjà sévèrement atteints, donc pour lesquels on sait depuis 3 mois qu’il est inutile voire dangereux d’appliquer le protocole marseillais conçu au contraire pour traiter les malades dès le début afin de prévenir l’aggravation et l’hospitalisation. Mais ce qui est grave ici, c’est que les auteurs cherchent assez grossièrement à le dissimuler. Ils laissent en effet entendre qu’en étudiant uniquement des patients à qui le traitement a été administré dans les 48h suivant le diagnostic lui-même réalisé après leur hospitalisation, il évalue une thérapeutique précoce comparable au protocole marseillais. C’est une supercherie car nous ne savons rien de la date à laquelle les malades ont été infectés (et c’est cette dernière qui est la seule référence pour juger de l’efficacité ou non du traitement IHU), ni même de la date à laquelle a été fait le diagnostic après leur entrée à l’hôpital (et selon les pays et l’état d’encombrement des hôpitaux cette date a nécessairement varié). Les biais potentiels sont énormes. Au lieu de les discuter avec transparence, l’article les passe sous silence, probablement parce qu’il cherche à minimiser au maximum la gravité de l’état des patients au moment où on leur administre le traitement.

Compte tenu de l’histoire naturelle de la maladie et du principal critère d’hospitalisation tant en Europe qu’aux USA (le besoin d’un supplément d’oxygène), les patients hospitalisés sont symptomatiques depuis au moins une semaine au moment de leur admission. Généralement, il faut ensuite ajouter 1 jour pour obtenir le résultat du test par PCR et 2 jours de délai jusqu’au début du traitement comme critère d’inclusion dans l’étude. Au final, on peut donc estimer que le traitement est institué à plus de 10 jours du début des symptômes (et non 2 comme pourrait le croire un lecteur naïf). Et à ce stade, on est entré dans la phase critique de la maladie (entre le besoin d’un supplément d’oxygène et l’orage cytokinique), où l’IHU de Marseille dit lui-même depuis le début que son traitement ne sert plus à rien. Dire ou laisser entendre que cette étude permet de l’évaluer en quoi que ce soit est juste malhonnête.

Du côté des commentateurs de cette étude, l’honnêteté n’est hélas pas non plus au rendez-vous. Le reproche principal (après sa personnalité) adressé à D. Raoult depuis le début est son refus de pratiquer la randomisation pour faire seulement de l’étude observationnelle. Or cette étude du Lancet n’est pas randomisée ! Mais qui en a fait un argument majeur contre cette étude ? Personne ou presque. Enfin, cette étude n’est pas une méta-analyse. Ce n’est qu’une agrégation d’un maximum d’effectifs aussi disparates soient-ils, pour donner une illusion de puissance statistique. Du Big Data low cost en quelque sorte. Ce qu’est du reste généralement le Big Data.

Alors à choisir, si nous étions sérieux (c’est-à-dire objectifs, respectant le principe de symétrie et non pratiquant le « deux poids, deux mesures »), quoi préférer ? Une étude observationnelle sur 96 000 dossiers papiers triés on ne sait comment, on ne sait pourquoi et on ne sait par qui dans 671 hôpitaux de 6 continents, par des cardiologues qui n’ont jamais soigné un seul malade du Covid ? Ou bien une étude observationnelle comme celle de l’IHU, qui porte sur 4 000 personnes bien réelles suivis dans le même hôpital par les mêmes médecins au jour le jour ?

Il faut cesser de sacraliser la Science et analyser le travail réel et concret des scientifiques

Outre qu’il faut toujours prendre le temps de lire les articles en détail (et non les résumés en vitesse), il faut aussi regarder les annexes et les tableaux. Et à la lecture de cet article du Lancet, un tableau étonne beaucoup. Sans doute pour donner une apparence de cohérence à cet ensemble fait de bric et de broc, il semble que les auteurs (i.e. les petites mains de la société d’intelligence artificielle et de Big data qui ont fait le travail) aient trié les malades retenus dans la base statistique en fonction de critères socio-démographiques (âge, sexe, origine ethnique, indice de masse corporelle) et médicaux (coronaropathies, insuffisances cardiaques, tabaco-dépendance, hypertension, diabètes…). Comment expliquer autrement la table 2 de l’article, qui donne dans chacun des 5 groupes de malades comparés des pourcentages quasiment identiques sur la totalité des critères qu’on vient d’énoncer ? Une telle perfection est impossible dans la vraie vie des études statistiques. Il ne s’agit donc pas d’un échantillon représentatif des malades, mais d’une population d’enquête triée sur le volet, dans le meilleur des cas. Et dans la mesure où ce tri n’est pas explicité dans l’article, on peut parler d’une manipulation.

Deux derniers indices achèvent de compléter ces soupçons. D’abord, la dissimulation d’une partie de leurs conflits d’intérêt potentiels par les auteurs de l’article. Ensuite, la triste banalité de ces filouteries, manipulations de données et autres fraudes dans la recherche médicale contemporaine.

Dissimulation de conflits d’intérêts

Les liens d’intérêt indiqués dans l’article du Lancet sont ceux déclarés par les auteurs. De même que les élus français déclarent – ou pas, ou seulement en partie – leur patrimoine à la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique. Ainsi que le Courrier des stratèges est une fois encore le seul à l’avoir écrit dans le cas de l’étude du Lancet, les auteurs des articles des revues scientifiques peuvent aussi chercher à dissimuler ces liens compromettants, ou bien en déclarer certains et pas d’autres. Et c’est malheureusement le cas avec ce quatuor d’auteurs qui s’efforcent notamment de dissimuler des liens avec le laboratoire américain Gilead, principal adversaire de l’IHU de Marseille car ce dernier concurrence directement son très cher médicament (le Remdesivir, on l’a longuement expliqué sur ce blog). Ainsi le principal auteur de cette étude, le spécialiste de chirurgie cardiovasculaire Mandeep Mehra, dissimule le fait que l’hôpital Brigham de Boston où il exerce est actuellement en contrat avec le laboratoire Gilead dont il teste depuis fin mars le médicament proposé contre la Covid : le Remdesivir. Ceci vient donc s’ajouter aux conflits d’intérêt potentiels déclarés par l’auteur. Certaines des entreprises listées sont bien connues, comme Abbott qui participe au financement des recherches du Dr Mehra sur les pompes cardiaques, mais qui est aussi investi dans la fabrication des tests de dépistage de la Covid. D’autres sont beaucoup moins connues comme l’entreprise suisse Roivant qui cherche elle aussi à valoriser actuellement son médicament (le Gimsilumab) pour traiter les malades COVID en phase de détresse respiratoire aigüe, que le Dr Mehra jugeait récemment « très prometteur ». Voilà donc un cardiologue décidément très en verve dans des domaines de spécialités (autour du traitement des différentes phases du Covid) qui ne sont pourtant pas du tout les siens. Le second auteur est donc le statisticien de Chicago qui a créé cette société de Big Data fabriquant actuellement des tests sur le Covid. Le troisième est le seul suisse de ce quatuor à domination américaine, le Dr Frank Ruschitzka qui travaille à l’hôpital universitaire de Zurich. C’est à nouveau un cardiologue, qui travaille depuis longtemps avec Abbott et Gilead (ce laboratoire subventionnant « sans restriction » – « Unrestricted research grant » – l’hôpital de Zurich), ayant notamment testé et publié sur son médicament contre l’hypertension : le Darusentan.

Triste banalité des filouteries, manipulations voire fraudes dans la recherche médicale contemporaine

Un jeune collègue sociologue m’écrivait récemment : « je ne suis pas médecin et je suis obligé de m’en référer à l’autorité scientifique que représente le Lancet ». Sympathique naïveté. Il faut lire ce qu’a écrit Richard Horton dans le Lancet en avril 2015 car il n’est autre que le propre rédacteur en chef de cette revue depuis 25 ans. Son diagnostic est que le corps scientifique médical est gravement malade : « une grande partie de la littérature scientifique, peut-être la moitié, est peut-être tout simplement fausse. Affligée par des études portant sur des échantillons de petite taille, des effets minuscules, des analyses exploratoires non valables et des conflits d’intérêts flagrants, ainsi que par une obsession à poursuivre des tendances à la mode d’importance douteuse, la science a pris un virage vers l’obscurité. (…) L’endémicité apparente des mauvais comportements en matière de recherche est alarmante. Dans leur quête d’une histoire convaincante, les scientifiques sculptent trop souvent les données pour qu’elles correspondent à leur théorie du monde préférée. Ou bien ils modifient leurs hypothèses pour les adapter à leurs données. Les rédacteurs en chef des revues scientifiques méritent eux aussi leur part de critiques. Nous aidons et encourageons les pires comportements. Notre acceptation du facteur d’impact alimente une compétition malsaine pour gagner une place dans quelques revues sélectionnées. Notre amour de la « signification » pollue la littérature avec de nombreuses fables statistiques. Nous rejetons les confirmations importantes. Les revues ne sont pas les seuls mécréants. Les universités sont dans une lutte perpétuelle pour l’argent et le talent, des points d’arrivée qui favorisent des mesures réductrices, comme la publication à fort impact. Les procédures d’évaluation nationales, telles que le cadre d’excellence pour la recherche, encouragent les mauvaises pratiques. Et les scientifiques, y compris leurs plus hauts responsables, ne font pas grand-chose pour modifier une culture de la recherche qui frôle parfois l’inconduite ».

Au demeurant, l’histoire de la production éditoriale du Lancet a été marquée par plusieurs graves controverses et scandales ces dernière années (ainsi que le rappelle fort justement Patrick Champagnac, ancien de France 3, sur sa page facebook).

Six ans plus tôt, c’était la rédactrice en chef historique du New England Journal of Medicine (l’autre revue médicale la plus prestigieuse du monde), Marcia Angell (professeur de médecine à la Harvard Medical School de Boston) qui, dans un article du New York Review of Books intitulé « Drug Companies & Doctors: A Story of Corruption », passait en revue une série d’affaires de compromission de médecins avec les industries pharmaceutiques, conduisant parfois à d’énormes scandales sanitaires. Elle concluait son article en écrivant : « Des conflits d’intérêts et des préjugés similaires existent dans pratiquement tous les domaines de la médecine, en particulier ceux qui dépendent fortement de médicaments ou de dispositifs. Il n’est tout simplement plus possible de croire une grande partie de la recherche clinique publiée ou de s’appuyer sur le jugement de médecins de confiance ou sur des directives médicales faisant autorité. Je ne prends aucun plaisir à cette conclusion, que j’atteins lentement et à contrecœur au cours de mes deux décennies en tant qu’éditeur au New England Journal of Medicine ». On recommandera aussi la lecture de son livre sur le sujet, traduit en Français en 2005.

Conclusion

Il est plus qu’urgent d’en finir avec la sacralisation de la Science derrière laquelle trop de personnes dissimulent tant bien que mal leurs intérêts ou leurs opinions personnelles, ne se donnant jamais la peine de poser la question toute simple qui doit (malheureusement) initier de nos jours toute discussion sérieuse sur une publication médicale : à qui profite le résultat annoncé ?

Source : Médiapart

What do you want to do ?

New mail

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *