[Exclusif] “Insurrection armée”, “sidération”, “lynchage médiatique” : les révélations choc d’un rapport secret de la gendarmerie sur les émeutes après la mort d’Adama Traoré

Des gendarmes en opération, à Persan-Beaumont, dans le Val-d’Oise, le 23 juillet 2016. Photo © THOMAS SAMSON / AFP

Par  Jules Delaverné et Frédéric Depeltry – Le 12/06/2020 – Valeurs Actuelles

C’est un document ultra-confidentiel auquel a eu accès Valeurs actuelles en exclusivité. Il s’agit d’un rapport interne d’un haut gradé de la gendarmerie nationale rédigé au lendemain des violences urbaines auxquelles ont été confrontés les militaires du Val d’Oise, après le décès d’Adama Traoré, dans la soirée du 19 juillet 2016 et les nuits suivantes. Dans ce document « sensible », il est clairement fait état de la sidération des forces de l’ordre face à l’insurrection subie, et de la prise en compte de la dimension politique lors de ce type d’événement. Il est également évoqué un certain nombre de mesures afin de juguler au mieux les violences urbaines. Révélations.

L’auteur de ce rapport de 20 pages, à destination interne, estime dans un premier temps que « trois phases » ont été observées au cours des émeutes de Persan-Beaumont, dont « l’intensité a été identique à celle de Villiers-le-Bel », en novembre 2007, « insurrection qui reste la référence à ce jour en France métropolitaine ».

https://www.valeursactuelles.com/clubvaleurs/societe/exclusif-insurrection-armee-sideration-lynchage-mediatique-les-revelations-choc-dun-rapport-secret-de-la-gendarmerie-sur-les-emeutes-apres-la-mort-dadama-traore-120513

Source : Le colonel.net

Ce document ultra-confidentiel, auquel a eu accès Valeurs actuelles, a été rédigé au lendemain des violences urbaines qui ont visé les militaires du Val d’Oise, après le décès d’Adama Traoré, dans la soirée du 19 juillet 2016 et les nuits suivantes.
C’est un document ultra-confidentiel auquel a eu accès Valeurs actuelles en exclusivité. Il s’agit d’un rapport interne d’un haut gradé de la gendarmerie nationale rédigé au lendemain des violences urbaines auxquelles ont été confrontés les militaires du Val d’Oise, après le décès d’Adama Traoré, dans la soirée du 19 juillet 2016 et les nuits suivantes.
Dans ce document « sensible », il est clairement fait état de la sidération des forces de l’ordre face à l’insurrection subie, et de la prise en compte de la dimension politique lors de ce type d’événement. Il est également évoqué un certain nombre de mesures afin de juguler au mieux les violences urbaines. Révélations. L’auteur de ce rapport de 20 pages, à destination interne, estime dans un premier temps que « trois phases » ont été observées au cours des émeutes de Persan-Beaumont, dont « l’intensité a été identique à celle de Villiers-le-Bel », en novembre 2007, « insurrection qui reste la référence à ce jour en France métropolitaine ».
La première phase, celle de la « sidération », a débuté à partir de l’interpellation d’Adama Traoré et a duré jusqu’au gel de la situation par le déploiement des hommes du GIGN. « Elle se cristallise autour de l’attaque de la brigade, de son dégagement, de l’émeute classique jusqu’à la prise à partie par armes à feu et au gel de l’action dans l’attente du GIGN », écrit le haut gradé. Le même rappelle qu’« environ 30 coups de feu ont été tirés sur les forces de l’ordre », notamment par le biais d’« un tireur armé d’une carabine à lunette », au cours de cet épisode de violences urbaines.
Une « série d’échecs tactiques successifs » D’emblée, l’auteur de ce document, diffusé dans les hautes sphères de la gendarmerie nationale, souligne une « série d’échecs tactiques successifs » avant de les énumérer : « mauvaise gestion par les magistrats qui restent huit heures dans la BT (brigade territoriale, ndlr) », « présence des élus dans la BT lorsqu’elle est attaquée », « siège et investissement partielle de la BT car la brigade n’est pas défendue dans la profondeur », « impossibilité de faire jouer la réserve qui est dans la BT et grande difficulté à constituer des éléments d’intervention puissants », « contrôle de zone poussif qui se finalise par un gel des unités fixées par des tirs et qui attendent le GIGN. » Le même auteur révèle, en des termes lourds de sens, que « la défaite est évitée par l’arrivée massive » des policiers de la direction départementale de la sécurité publique (DDSP) du Val d’Oise.
« Malgré tout, à l’aube, l’essentiel est préservé, à savoir pas d’ouverture du feu des forces de l’ordre sur des civils et les émeutiers sont rentrés chez eux. Le moral des militaires est bas et certains ne comprennent pas pourquoi il n’y a pas eu d’ordre de tirer. L’effet de sidération est amplifié par le sous encadrement dû à la période estivale. Les commandants de compagnie sont, en outre, mutés et le commandant du groupement est en permission. »
Passée cette première phase, le rédacteur de ce rapport évoque la seconde : « la reconquête. » « Cette phase part du mercredi 20 au dimanche 24 juillet 2016. Elle commence par une reprise en main morale et opérationnelle. » L’appel téléphonique du général de corps d’armée, Richard Lizurey, alors Major général de la gendarmerie nationale, mais surtout la venue à Persan du grand patron des gendarmes, le général d’armée, Denis Favier, au lendemain de l’assaut lancé par de jeunes émeutiers contre la brigade locale, remontent le moral des troupes. « Un véritable traumatisme » Par ailleurs, « l’élaboration d’une conception de manœuvres validées par le directeur général de la gendarmerie nationale devant le préfet du Val d’Oise permet d’engager les opérations en toute quiétude », poursuit l’auteur du rapport. « La nuit de mercredi a permis de casser l’adversaire et a constitué un tournant par l’application d’un dispositif de surmobilité qui a contribué également à regonfler le moral de la troupe, celle-ci reprenant l’initiative. »
Mais ces épisodes successifs de violences de « type urbain » ont éprouvé les corps et les esprits. « Chargés sur le plan nerveux et émotionnel », elles sont très éprouvantes pour « l’organisme », note encore le haut gradé. « Sur le plan visuel tant pour les médias que pour les habitants, c’est un véritable traumatisme. La peur des habitants s’est traduite concrètement par un tir d’arme à feu sur les gendarmes, le tireur croyant avoir affaire à des casseurs. Cette phase constitue un paroxysme tant par son intensité, voulue et assumée car les forces décident de passer à l’offensive, que par sa durée faisant d’une petite ville, une cité en état de siège ».
La troisième phase, celle de la « désescalade » et du « retour au calme », s’avère « être la plus difficile ». « Les militaires sont fatigués nerveusement et les autorités hypersensibles. Il a fallu être très vigilant au relâchement individuel et collectif tout en maintenant une proximité avec les élus », ajoute l’auteur de ce document. « Dans cette phase, la sémantique est essentielle. Rien ne doit stérilement accentuer l’anxiété du niveau politique. […] L’effet majeur est de diffuser de la sérénité, tout le reste est inaudible. » Le syndrome Malik Oussekine « Dans un contexte de violence de type urbain/insurrection armée, l’enjeu est avant tout politique, insiste encore le même militaire. Le poids du passé de Villiers-le-Bel, de Sarcelles et du 93 limitrophe est un horizon indépassable. La cinétique de telles manifestations de violence vont de cinq jours à un mois comme en 2005. Ces délais hypothèquent la crédibilité politique […]. Dans notre cas d’espèce, l’impossibilité de communiquer sur le fond de l’affaire du décès pour ne pas donner l’impression de se justifier a constitué une contrainte forte si ce n’est la plus importante. Cela a laissé le champ au lynchage médiatique qui a non seulement éprouvé le moral des militaires mais également à certains moments critiques rendu flottant le soutien de certaines autorités. »
Dans ce même rapport, un point essentiel revient à plusieurs reprises : la préservation de l’intégrité physique des mineurs. « Il y a dans notre conscient politique collectif un interdit sociétal qui est la blessure d’un mineur en ordre public et ce depuis Malik Oussekine (un étudiant, âgé de 22 ans, frappé à mort par des policiers, en décembre 1986, ndlr). L’affrontement avec des jeunes africains dont la morphologie est trompeuse complexifie. L’interdiction de tirer sur tout individu fluet et de petite taille […] constitue un garde-fou. Ces directives alliées au dynamisme de la manœuvre a permis d’éviter toute bavure de ce type et ce, en dépit des 260 balles de défense et 60 grenades de désencerclement tirées en trois nuits. » L’auteur de ces lignes revient également, au long, sur le comportement des émeutiers au cours des affrontements avec les forces de l’ordre : « L’adversaire s’est révélé particulièrement manœuvrié et a développé une capacité de planification que la cinétique parfois plus lente des unités de gendarmerie lui a permis de jouer à fond.
Reposant sur une ressource de 50 à 200 émeutiers encadrés par des délinquants emblématiques des quartiers avec un réseau de soutien-renforts dans tout le Val d’Oise et la Seine-Saint-Denis, l’adversaire a été en capacité de monter des opérations coordonnées sur une zone de 10 km sur 5. Ils ont, en effet, mené des raids contre des casernes ou des logements de famille à 10 km de la zone d’engagement principal tout en conduisant des opérations de harcèlement dans les communes avoisinantes. Ces actions entraînent une panique chez les élus et le risque d’attrition des forces amies par atomisation/dispersion. » « Les consignes de riposte doivent être claires » Passée l’étape du constat, le haut gradé avance plusieurs préconisations : « La manœuvre sous le feu des unités en violence de type urbain est à revoir en profondeur. Les modes opératoires sont inadaptés, voire dangereux car conduisant à rester fixés laissant l’adversaire conserver l’initiative, gage du succès en tactique […]. Hors tirs d’arme de guerre ou de calibre de chasse au gros gibier, il faut s’affranchir du schéma classique de fixer et d’attendre les unités spécialisées qui arrivent tardivement, généralement après l’événement, laissant pendant cet intervalle le champ libre aux casseurs. Ces derniers conservent l’initiative et continuent à faire des pertes chez les forces de l’ordre exposées car statiques. » « Le schéma idéal relève du combat d’infanterie (fixer, déborder, aborder, réduire), assure le même auteur. La mobilité et le choc neutralisent rapidement le tireur qui décroche. De même, si un compartiment de terrain est battu par les feux, cela ne doit en aucun cas geler toute la zone d’engagement. Bien au contraire, la mobilité doit s’accroître pour déséquilibrer le centre de gravité de l’adversaire. Les consignes de riposte doivent être claires, excepté un blessé grave ou des tirs répétés de gros calibre avec une identification confirmée de l’auteur, aucune riposte entraînant un mort dans les rangs adverses ne pourra être politiquement recevable. » « Les émeutes de Persan-Beaumont constituent, à ce jour, un cas unique d’engagement en zone gendarmerie métropolitaine sur une typologie d’insurrection armée dans des cités, conclut l’auteur de ce rapport. Son intensité et ses caractéristiques méritent que l’on s’y arrête car mis en perspective avec la rurbanisation et l’imbrication de la zone gendarmerie dans la métropolisation, il est plus que probable que ce type d’événements, hier apanage des zones en charge de la police, devienne une réalité pour certains groupements de gendarmerie départementaux. »
What do you want to do ?

New mail

What do you want to do ?

New mail

What do you want to do ?

New mail

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *