Elysée, Russie, Françafrique, gendarmerie, franc-maçonnerie… Alexandre Benalla, un homme qui n’a pas de problème de réseaux

17059679Alexandre Benalla, l’ancien chargé de mission de l’Elysée, le 19 février 2019 à Paris. (GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP)

Le 18 juillet 2018, « Le Monde » révélait que l’ancien chargé de mission à l’Elysée avait violenté un couple lors d’une des manifestations du 1er-Mai. Depuis, les révélations pleuvent autour de ses multiples activités.

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Sa vie pourrait être un scénario de film. A 27 ans, Alexandre Benalla a déjà alimenté de multiples polémiques depuis que Le Monde a révélé, le 18 juillet 2018, qu’il avait molesté des manifestants le 1er mai, place de la Contrescarpe à Paris. Depuis, les scoops s’enchaînent, confirmant les appuis dont a bénéficié l’ancien garde du corps d’Emmanuel Macron.

Alors que le jeune homme a passé sa première nuit en prison pour ne pas avoir respecté son contrôle judiciaire et que la commission des Lois du Sénat présente mercredi 20 février son rapport d’enquête le concernant, franceinfo se penche sur les différentes facettes d’un Alexandre Benalla au centre des sphères de pouvoir. Tentative de recensement à travers les multiples révélations issues principalement du Monde et de Mediapart.

Un agent de sécurité à l’Elysée

A 14 ans, le gamin d’Evreux (Eure) décroche un stage au sein du Service de protection des hautes personnalités. Un an plus tard, il fait ses premiers pas dans la protection rapprochée et assure la sécurité de Marion Cotillard et des stars du Festival du film de Cabourg (Calvados). Le 5 décembre 2016, alors qu’il vient d’avoir 25 ans, il devient responsable de la sécurité de la campagne d’Emmanuel Macron et quitte l’orbite du service d’ordre du Parti socialiste.

Le 7 mai 2017, lorsque le candidat d’En marche ! remporte la présidentielle, Alexandre Benalla le suit dans l’ombre lors de sa marche triomphale à la pyramide du Louvre. L’ascension du vainqueur sera aussi la sienne. Il a gagné la confiance du nouveau chef de l’Etat en le protégeant lors de sa campagne, mais également lors de ses vacances ou de ses week-ends avec sa femme dans la villa familiale du Touquet (Pas-de-Calais), dont il possédait un jeu de clés, selon Le Point.

Dans la foulée, le jeune Normand devient l’un des dix adjoints au chef de cabinet du président de la République. Mais il sort de son rôle en s’en prenant physiquement à un couple lors d’une des manifestations du 1er-Mai, à laquelle il assiste en tant qu’observateur des forces de l’ordre.

Mais à l’Elysée, quelles sont ses fonctions exactes ? Le 19 juillet 2018, au lendemain des révélations du Monde sur l’identité de l’homme casqué frappant un couple place de la Contrescarpe à Paris, Christophe Castaner, alors porte-parole du gouvernement, le décrit comme un simple collaborateur « en charge de la logistique », s’occupant par exemple « des bagages » des Bleus, souligne le HuffPost. Alexandre Benalla avait en effet accompagné en bus les champions du monde de Roissy à l’Elysée, après leur retour de Moscou (Russie), le 16 juillet.

Mais dès le 23 juillet, Le Monde pilonne la thèse du simple « bagagiste » en affirmant que l’employé de l’Elysée était chargé de réorganiser la protection du président. Il s’agissait en particulier, assure le journal, de « faire passer le groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR), composé d’un peu moins de 80 policiers et gendarmes, sous l’autorité unique de l’Elysée ». Bien plus qu’un simple adjoint, précise Le Parisien, Alexandre Benalla faisait en réalité « office de garde du corps et conseiller en sécurité » pour Emmanuel Macron.

Et son rôle était jugé suffisamment important pour que la présidence lui attribue en juillet 2018 un prestigieux logement de fonction quai Branly, dans le 7e arrondissement parisien. Un appartement dont il profitera peu puisqu’il sera licencié le même mois. Il bénéficiait aussi, apprendra-t-on ultérieurement, d’une voiture avec chauffeur, d’un badge lui permettant de se rendre à l’Assemblée nationale, d’un téléphone ultrasécurisé Teorem réservé aux communications sensibles et de deux passeports de service et de deux passeports diplomatiques, dont il continuera à se servir après son départ de l’Elysée.

Alexandre Benalla semble si proche du premier cercle d’Emmanuel Macron que la démission du conseiller spécial du président, Ismaël Emelien, le 11 février, interroge l’opposition. Ce proche collaborateur de l’Elysée est soupçonné d’être impliqué dans la diffusion des images de vidéosurveillance du 1er-Mai depuis que l’ex-chargé de mission du président a affirmé aux enquêteurs lui avoir transmis des vidéos obtenues illégalement auprès de la police, destinées à le disculper dans le déroulé des violences du 1er mai 2018. De son côté, Ismaël Emelien a justifié sa démission par la promotion d’un livre qu’il a écrit sur le progressisme, le chef de l’Etat ayant interdit à ses conseillers de publier pendant qu’ils sont en poste à l’Elysée.

Un négociateur de contrats

En ce même printemps 2018, le collaborateur de l’Elysée s’active parallèlement, selon Mediapart, à négocier pour des entreprises privées un contrat de sécurité portant sur la sécurité avec deux oligarques russes (mais sans liens particuliers avec Vladimir Poutine, selon l’AFP Moscou). Le parquet national financier a confirmé le 7 février l’ouverture d’une enquête pour corruption sur celui signé avec Iskander Makhmudov

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Des contrats au profit de qui ? De la société Mars, dirigée par son ami Vincent Crase, qui œuvre au même moment à la sécurité du parti La République en marche et de Velours, pour qui l’ex-salarié de l’Elysée avait travaillé en 2014 et qui fera office de sous-traitant. Selon l’ancien policier Jean-Maurice Bernard, directeur de Velours, Alexandre Benalla a négocié l’affaire « de bout en bout » dans un café proche de l’Elysée, et, à l’occasion, dans les locaux du parti présidentiel.

C’est Alexandre Benalla encore, complète Le Canard enchaîné qui « suggère le nom de son ami Chokri Wakrim, sous-officier à l’état-major des forces spéciales et compagnon de la patronne de la sécu de Matignon », parmi les sept « gros bras » dévolus à la protection du Russe. Libération soupçonne aussi le militaire d’être lié à l’affaire du 1er-Mai, même si celui-ci a démenti jeudi 14 février avoir déplacé le coffre-fort de son ami juste avant une perquisition effectuée l’été dernier.

Et c’est enfin Alexandre Benalla qui dirige réellement France Close Protection, la société qui récupère en octobre le contrat signé par Mars, dissous entre temps, selon Le Canard enchaîné. L’hebdomadaire satirique en veut pour preuve les liens de parenté entre « Kevin P. », le fondateur de France Close Protection et Alexandre Benalla.

Ce jeune homme [Kevin P.] n’est autre que le demi-frère de Benalla, tout juste majeur. »Le Canard enchaîné » du 13 février 2019

A en croire Mediapart, les contrats noués à cette époque vont s’avérer fructueux pour l’ex-conseiller de l’Elysée licencié. Non seulement, il a récupéré le premier contrat, via France Close Protection, mais il « a par ailleurs signé en décembre 2018 un second contrat de sécurité avec un autre oligarque russe, Farkhad Akhmedov, affirme encore le site d’information. Au total, ces contrats s’élèvent à 2,2 millions d’euros. Une partie des fonds a été perçue par Benalla au Maroc. »

Un consultant en affaires africaines

Licencié le 20 juillet de l’Elysée, l’ancien garde du corps ne va pas tarder à rebondir. Plusieurs personnalités influentes de la Françafrique volent à son secours. Le 18 juillet, soir des révélations sur la manifestation du 1er-Mai, la compagne d’Alexandre Benalla se réfugie ainsi avec son bébé, selon Le Monde, chez Pascale Jeannin-Perez, « une discrète femme d’affaires de 56 ans, intermédiaire appréciée par les sociétés qui démarchent l’Afrique ou le Golfe ». 

Pendant l’été, le nouveau chômeur séjourne trois jours à Marrakech (Maroc), chez le millionnaire Vincent Miclet, qui a fait fortune en Angola, révèle encore Le Monde. Et le 5 septembre à Londres, où il s’est établi, Alexandre Benalla rencontre Alexandre Djouhri, certes sous contrôle judiciaire dans l’affaire du financement libyen présumé de la campagne de Nicolas Sarkozy, mais connu aussi pour « avoir tissé des réseaux politiques et industriels aux ramifications multiples, du Gabon au Congo-Brazzaville, de l’Algérie à la Guinée équatoriale », souligne Libération.

Sans que l’on sache exactement pourquoi, Alexandre Benalla effectue à partir d’octobre plusieurs voyages vers le continent africain. Il se rend ainsi, selon Le Monde, « au Congo-Brazzaville (…) dirigé depuis plus de trente ans par un autocrate ami de la France, Denis Sassou-Nguesso ». Et il est accompagné, par un « homme d’affaires franco-israélien (…) Philippe Hababou Solomon », qui a entrepris « de le former ».

Spécialiste de la diplomatie privée en Afrique pour le compte de gouvernements, (…) M. Solomon s’est piqué de former Alexandre Benalla. »Le Monde » du 27 décembre 2018

Début décembre, quelques jours avant la visite d’Emmanuel Macron, Alexandre Benalla débarque au Tchad à bord d’un avion privé et y rencontre, selon Le Monde, « le frère du président tchadien, Oumar Déby, qui pilote la direction générale de la réserve stratégique (DGRS) tchadienne ». La coïncidence est si troublante que l’Elysée tient à le préciser : Alexandre Benalla n’est « en aucun cas un intermédiaire officieux ou officiel ».

Quant à l’ancien employé de l’Elysée, il assure à L’Express avoir « son propre agenda » et s’être rendu comme « consultant » à N’Djamena  « avec une délégation (…) des grands patrons du Moyen Orient [qui] sont susceptibles de créer 3 000 emplois au Tchad » .  Des voyages facilités par les passeports diplomatiques dont il se servait à l’insu de l’Elysée et du Quai d’Orsay, affirmera le ministère des Affaires étrangères.

Un homme de réseaux

A quel âge Alexandre Benalla a-t-il commencé à se construire un réseau ? Dès 17 ans, lorsqu’il s’engage comme gendarme de réserve dans l’Eure, raconte Libération. Il y rencontre Sébastien Lecornu, aujourd’hui ministre des Collectivités territoriales, et qui commande une dizaine de fois son peloton entre 2010 et 2013. Surtout, il y noue une amitié durable avec le capitaine de réserve de la gendarmerie Vincent Crase, que l’on retrouvera plus tard si souvent à ses côtés.

De 18 ans son aîné, Vincent Crase sera le premier d’une série de chefs qui ne tarissent pas d’éloges sur leur protégé. En le faisant travailler à l’Elysée, Emmanuel Macron offre un tremplin au jeune homme ambitieux, qui peut se prévaloir de sa proximité avec le chef de l’Etat pour étoffer son carnet d’adresses.

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Vincent Crase (à gauche, avec les lunettes de soleil) et Alexandre Benalla (au centre avec un casque de police), le 1er mai 2018, place de la Contrescarpe à Paris. (NAGUIB-MICHEL SIDHOM / AFP)
Quelques mois plus tôt, en janvier 2017, selon L’Express, Alexandre Benalla se fait initier au sein de la Grande Loge nationale française (GLNF). Ce passage chez les francs-maçons ne durera qu’un an et demi. Après sa première mise en examen, il est suspendu le 23 ou 24 juillet 2018, selon Le Figaro. De toute façon, il  « n’est venu que deux ou trois fois peut-être », précise le Grand Maître de la GNLF, Jean-Pierre Servel.

Après son éviction de l’Elysée, il continue à tisser sa toile. Le Monde l’interviewe ainsi chez Marc Francelet, ancien journaliste reconverti en affairiste controversé. Apparaît aussi, au cours de ce même entretien « Michèle Marchand, figure de la presse people et très proche du couple Macron. Preuve que dans la tempête, M. Benalla n’est pas un homme seul », épilogue le journal. Dans ce même milieu qui navigue entre presse, communication et business, Alexandre Benalla prend pour mentor, selon Le Monde, l’ex-journaliste de TF1 Charles Villeneuve, qui lui présente Jean-Pierre Elkabbach.

De quoi mettre un pied dans la galaxie du groupe Lagardère, dont l’ancien patron d’Europe fut un pilier ? Le 27 novembre 2018, le jeune homme est de la fête donnée pour les 70 ans du Journal du dimanche dans un restaurant du 8e arrondissement. Une fête où l’on croisait, selon Le Monde, le directeur de la rédaction du JDD, Hervé Gattegno, l’inévitable Marc Francelet, le conseiller spécial d’Arnaud Lagardère, Ramzi Khiroun, le ministre du Budget, Gérald Darmanin, et même l’ancien chef de l’Etat Nicolas Sarkozy.

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