Drones de combat : la Cour des comptes épingle un fiasco français

Un drone Reaper français lors des répétitions du dernier défilé du 14 juillet.Un drone Reaper français lors des répétitions du dernier défilé du 14 juillet. – PHOTOPQR/OUEST FRANCE/MAXP

Dans leur rapport annuel, publié ce mardi 25 février, les magistrats de la Cour des comptes s’alarment du retard français en matière de drones, et pointent du doigt une faillite politique, militaire et industrielle.

C’est ce qu’on appelle louper le coche. Dans son rapport annuel, publié ce mardi 25 février, la Cour des comptes fait état du retard accumulé par les armées françaises sur l’un des grands chamboulements de la guerre moderne : les drones. Le rapport pointe du doigt une « rupture stratégique mal conduite » s’agissant de ces engins sans pilote.

Retard à l’allumage

« La France a tardé, malgré la solidité de son industrie d’armement, à s’équiper, du fait de projets ponctuels, conduits sans vision stratégique cohérente sur le long terme« , tancent les magistrats-enquêteurs, regrettant qu’aujourd’hui encore, « malgré une accélération de la politique d’acquisition, le parc de drones militaires français reste limité, comparativement à celui d’autres pays« .

L’intérêt des drones n’est pourtant plus à démontrer : « Ils offrent l’avantage de la permanence en vol (une grande autonomie par rapport à un avion de chasse ou un hélicoptère, ndlr) et la possibilité d’opérer en milieu hostile, sans risque de perte humaine, du fait de l’absence d’équipage à bord, et ce, pour un coût limité, d’acquisition, d’entretien et d’emploi« , résume la Cour des comptes. Mais ce n’est pas tout : dans un futur proche, les drones pourront voir la palette de leurs missions agrandies : transport logistique, ravitaillement en vol, relais de télécommunication… Les drones devraient, d’ici quelques années, évoluer en essaims articulés autour d’un avion de combat, comme le futur Scaf franco-allemand, présenté l’été dernier au Bourget.

Pour la Cour des comptes, la prise de conscience a été trop tardive : « Il faut (…) attendre l’engagement de systèmes ‘intérimaires’ en Afghanistan à la fin des années 2000 pour que soit emportée la conviction de la nécessité des drones dans les opérations militaires. » Et nous sommes encore loin du compte : « Rapportés aux investissements annuels du ministère des Armées dans les programmes d’armement sur la période récente, les montants totaux dédiés aux drones n’ont jamais représenté plus de 2 % de l’effort global« , constate le rapport.

Concrètement, à quoi ressemble le parc de drones français aujourd’hui ? Il se divise en trois grands types : des drones armés opérés par l’armée de l’air, capables de lancer des missiles, désignés par l’Otan sous l’appellation MALE, pour « moyenne altitude, longue endurance », des drones dits « tactiques », qui servent à la reconnaissance et à la surveillance pour l’armée de terre – le très prometteur drone Patroller, construit par Safran et qui entrera sous peu en service, pourrait être armé à l’avenir -, et enfin des petits drones « de contact », utilisées pour la reconnaissance, mais à l’échelle d’une unité.

Une autonomie stratégique compromise

Or, pour remplir ces différentes missions, la France utilise pour l’heure du matériel vieillissant, bien souvent de fabrication étrangère, et en quantité insuffisante. A ce titre, l’exemple le plus frappant est celui des drones d’attaque, les fameux MALE.

Faute de développement d’un programme national en temps voulu, la France à dû se résoudre à acquérir des drones dérivés d’un modèle israélien au début des années 2000, aboutissant sur le système Harfang. « Plus long et plus complexe que prévu, l’achat sur étagère a évolué vers un contrat de développement technologique, qui a généré surcoûts et retards« , note la Cour des comptes. Ce programme, initialement pensé comme transitoire, est finalement devenu permanent. Et ce, même si, comme le relèvent les magistrats, « le déploiement de ces matériels, en Afghanistan notamment, alors qu’ils n’avaient pas été conçus dans la perspective de telles opérations, s’est révélé coûteux au regard de leurs apports opérationnels« .

Mais cette première expérience ne semble pas avoir servi de leçon : en 2013, l’intervention française au Mali pousse la France à acquérir dans l’urgence le drone américain Reaper, fabriqué par General Atomics. Entre 2012 et 2020, alors que son activité a été multipliée par dix, la flotte de l’armée de l’air sera passée de quatre drones Harfang à 11 Reaper, les six derniers devant désormais être livrés en 2020, alors qu’ils étaient attendus courant 2019.

« Cette décision s’est inscrite dans le contexte du moment, celui d’un besoin opérationnel à satisfaire dans des délais resserrés, des hésitations répétées des pouvoirs publics et des industriels, et alors qu’étaient en balance plusieurs options y compris nationales« , soupire encore la Cour des comptes, qui pointe les « atteintes à l’autonomie stratégique et industrielle » induites par cet achat en catastrophe. « Les deux premiers systèmes livrés à la France ont été prélevés sur les chaînes de production dédiées à l’armée de l’air américaine et donc dans une version non dédiée à l’export« , explique le rapport. Rappelons que lors de la vente d’avions militaires, il est fréquent qu’un constructeur lié aux armées de son pays d’origine – comme Dassault et l’armée de l’air – ne propose à l’export qu’une version « dégradée » de l’appareil, par exemple en matière d’équipement radar, afin de garder secrètes ses caractéristiques les plus sensibles.

De sorte que les Etats-Unis, soucieux d’être les seuls à pouvoir exploiter le drone Reaper à son plein potentiel, ont exigés des « critères de sécurité et des restrictions d’utilisation« . « En matière d’emploi, le déploiement en dehors de la bande sahélo-saharienne [est] soumis à l’autorisation des Américains », détaille par exemple la Cour des comptes. L’armée de l’air s’est ainsi retrouvée dans une situation ubuesque : le rapatriement du Niger des drones Reaper vers la base de Cognac, qui héberge l’escadron de drones 1/33 Belfort, a nécessité un accord américain préalable, attendu pendant des mois ! Cerise sur le gâteau : la maintenance de ces drones est assurée exclusivement par General Atomics, tandis que la formation des opérateurs de drones dépend de la filière de formation yankee, déjà « très encombrée » par les élèves américains.

Un naufrage européen

Rebelote donc, et bientôt dix de der’ ? Il semblerait. Alors que la France avait su, par le passé, prendre ses distances lorsqu’elle se voyait embarquée dans une coopération européenne bancale – les différences dans les cahiers des charges de chaque partenaire, comme pour la conception du chasseur Eurofighter Typhoon, entraînant surcoût, retards de développement et compromis capacitaires -, elle se trouve, en matière de drone d’attaque, embourbée dans le programme EuroMale. Ce dernier, lancé en 2004 à l’initiative de la France, est tout simplement sur le point de capoter.

La Cour des comptes ne cache pas son inquiétude : « Les difficultés du projet qui s’amoncellent doivent inciter à la plus grande vigilance. Les approches différentes en termes de besoins opérationnels entre la France et l’Allemagne (…), les retards comme les coûts annoncés par les industriels – de près de 30 % encore supérieurs au prix attendu par le ministère des Armées – considérés à ce stade comme inacceptables par les pays partenaires, sont autant de signaux d’incertitude sur la capacité du projet à aboutir dans de bonnes conditions« , peut-on lire dans le rapport annuel.

Et les pensionnaires de la rue Cambon de se morfondre : « La conséquence principale des échecs répétés en matière de coopération est une solide implantation de drones étrangers dans les armées européennes : américains, dans le cas du Royaume-Uni, de la France, de l’Italie, de l’Espagne, des Pays-Bas et de la Belgique, et israéliens dans le cas de l’Allemagne. » Alors que le ministère des Armées doit trancher dans les prochaines semaines sur la pérennité du programme EuroMale, les drones Reaper ont pour leur part de beaux jours devant eux, puisque le retrait du service n’est plus envisagé désormais qu’entre 2032 et 2036. Las, l’incurie ne se limite pas au drone armé de type « MALE ». Un exemple parmi d’autres : tandis que des expérimentations prouvaient dès 2010 l’intérêt des drones pour la surveillance maritime, la marine nationale attend toujours son drone tactique, dont la livraison a été plusieurs fois retardé et devrait désormais attendre… 2028 !

Qui est responsable de cette incurie ? Les militaires mettent en avant auprès de la Cour des comptes le temps nécessaire au développement du matériel et d’une doctrine pour l’utiliser. Mais les magistrats soulignent aussi « des causes plus profondes et cumulatives » aux lacunes françaises : si la résistance culturelle à l’idée même d’employer des drones mettant les pilotes sur la touche a eu son rôle dans l’armée de l’air, c’est toute la chaîne politique, militaire et industrielle qui a failli. Le rapport dénonce en effet « un manque de constance et de cohérence dans les choix industriels, capacitaires et diplomatiques des pouvoirs publics« , une « absence de vision stratégique et de planification de moyen terme » des états-majors, et enfin « des rivalités entre industriels, qui ont abouti à une forte concurrence intra-européenne dommageable« . Un air déjà trop bien connu dans l’histoire militaire française…

Source : Marianne

 

 

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