» De l’argent comme s’il en pleuvait Le salut viendra du ciel  »

par  Jean-Luc Gréau– 30 octobre 2019
 banque-centrale-zone-euro-revenus-subventions-keynes-1200x728© Soleil

Des financiers de haut vol préparent une opération inédite : verser chaque mois une somme fixe sortie des caisses de la banque centrale à tout titulaire d’un compte bancaire. Cette mesure qui rappelle le revenu universel de Benoït Hamon est censée combler les lacunes des politiques de relance. Elle annonce la fin du travail dans la zone euro.


L’histoire des quatre siècles du capitalisme se confond avec celle de ses innovations économiques et sociales. L’histoire des quarante années de néolibéralisme, c’est celle de ses innovations juridiques, monétaires et financières.

Les niais que nous sommes tous, plus ou moins, ont pu penser que la capacité d’innovation des financiers avait été épuisée après l’épisode surréaliste du quantitative easing (QE), où, sans crier gare, les banques centrales américaine, britannique, européenne, japonaise, suédoise et suisse ont racheté des masses d’emprunts publics et privés en contrepartie de monnaie nouvelle. Et, comme cette politique revient à l’ordre du jour, à Francfort, et sans doute bientôt à Washington, on pourrait penser qu’elle constitue l’alpha et l’oméga de la politique monétaire en régime néolibéral.

Il va falloir pourtant préparer nos intelligences à une grande novation annoncée à grands coups de trompette par des financiers de haut vol, Jean Boivin, Moritz Kraemer et Philipp Hildebrand : jeter de l’argent sur les populations depuis une flottille d’hélicoptères (1). Moritz Kraemer nous dit « qu’il est temps de sortir les hélicoptères du hangar ».

« Helicopter Money »

La formule « Helicopter Money » renvoie de manière fallacieuse à un raisonnement de Milton Friedman pour qui, si l’on doublait la quantité de monnaie disponible en faisant tomber du ciel l’argent sur la population d’une île, on obtiendrait un doublement des prix. L’intéressé n’aurait pas aimé que l’on instrumentalise son récit pour justifier la grande innovation qui s’annonce, lui qui se gendarmait contre l’excès de pouvoir des banquiers centraux.

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Concrètement, « Helicopter Money » signifie que la banque centrale verse chaque mois une somme fixe, sortie de ses guichets, à tout titulaire d’un compte bancaire, quel que soit son revenu, son type d’activité, voire son statut (résident ou non résident) durant toute la période nécessaire pour que les économies retrouvent une vigueur apparente.
N’est-ce pas le revenu universel cher à Benoît Hamon direz-vous ? Oui, à cette minime différence que son application sur notre territoire ne coûterait pas le moindre euro au Trésor public, tandis que la proposition du patron de Génération.s aurait représenté un débours annuel de plus de 200 milliards d’euros.

Benoît Hamon - Photo Daniel Pier / NurPhoto/AFPBenoît Hamon – Photo Daniel Pier / NurPhoto/AFP

Un énoncé sans failles apparentes

Il y a peu à redire au diagnostic qui justifie cette grande innovation. Premièrement, les politiques de relance monétaire, malgré le QE, ont épuisé leurs effets. Elles ont sauvé la banque occidentale de la faillite, mais échoué à renouer avec une croissance solide impulsée par la consommation et l’investissement. En plus, les facilités monétaires inouïes octroyées par les banques centrales se heurtent à un obstacle dirimant sous la forme d’une disparition des emprunteurs : la plupart des États situés en Europe décaissent plus, au titre de leur dette, qu’ils n’empruntent pour couvrir leurs besoins courants, les entreprises subissent ce que Keynes appelait une baisse de « l’incitation à investir », les consommateurs une stagnation de leur « propension à consommer ». Pourquoi ces consommateurs prendraient-ils le risque de la dette alors que les emplois restent précaires et que le souvenir des crises de 2008 et de 2010 est dans les esprits ? Et enfin, la relance budgétaire préconisée par certains ne saurait être massive sans provoquer une levée de boucliers du côté de l’Allemagne.

J’ai failli oublier un point essentiel. C’est pour la zone euro que la nouvelle prescription a été conçue en priorité. Il faut sauver le patient euro ! Nonobstant toutes les fadaises réitérées sur une Europe qui devait devenir le continent high-tech (2) et sur la remarquable résilience de la zone euro, elle reste, comme le Japon, l’un des deux maillons faibles du système mondial.

Une politique win-win

Les bienfaits de cette politique sont supposés être si nombreux qu’ils sont presque impossibles à recenser. Premièrement, non seulement elle serait sans dommage pour les finances publiques, comme il a été dit, mais elle augmenterait au contraire les recettes de l’État et des collectivités locales par le biais d’une consommation et d’un investissement accrus. Deuxièmement, elle consoliderait les débiteurs de toutes sortes, l’État bien sûr, mais aussi les ménages, directement, et les entreprises indirectement, alors que la stagnation économique alourdit le poids relatif des dettes. Troisièmement, elle sortirait une épine politique du pied des États aux prises avec des problèmes de retraite insolubles. Les cotisations perçues pour servir les retraites augmenteraient mécaniquement sous l’effet d’une meilleure activité, il suffirait de verser aux retraités ce qui est en caisse alors qu’ils sont subventionnés par la banque centrale. Quatrièmement, ce n’est pas le moindre argument, le coût salarial pourrait être contenu pour mieux faire face aux contraintes de la compétitivité. Et, cinquièmement, le cœur idéologique du système néolibéral serait préservé puisque la solution ne viendrait pas de l’État, mais de la banque centrale indépendante.

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On pourrait objecter que les revenus obtenus par subventions vont renforcer les importations de la zone euro en provenance de la Chine et aggraver le déséquilibre interne à la zone euro entre les pays du Nord les plus compétitifs et les pays du Sud les moins compétitifs. Mais quel serait le poids de cette objection alors qu’on s’inquiète du ralentissement chinois et que la survie de la zone euro est une nouvelle fois en jeu ?

La fin du travail ?

On se demande ce qu’en penseraient nos aïeux, qui croyaient nécessaire de gagner son pain à la sueur de son front, et les auteurs économiques classiques, qui fondaient invariablement la demande sur la dépense de revenus tirés du travail ou de l’épargne ? Qu’en penserait Keynes lui-même qui préconisait des relances destinées à consolider les revenus par le biais de l’emploi ?

L’« Helicopter Money » nous projette dans un monde postlibéral et postkeynésien. Il pourrait augurer d’une bifurcation anthropologique par la fin du travail. Car rien ne dit que cette expérience, limitée dans le temps selon ses auteurs, ne serait pas appelée à se pérenniser dans le contexte de confort artificiel des États et des populations qu’il installerait. Pourquoi se casser encore la tête, grands Dieux ? Vivent les vacances !

Source : Causeur

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