Daniel Vial, l’ami de Cahuzac et des labos, sort de l’ombre

Un ami me transmet un vieil article du journal l’Obs – Mai 2013 – qui semble très intéressant et pourrait expliquer les « fonctionnements occultes » de Big Pharma avec certains politiciens et médecins en ce moment même.

En marge de l’affaire Cahuzac et de ses comptes à l’étranger on voit surtout comment ils étaient alimentés et ceux des autres sûrement aussi.
L’enquête commence à dater mais elle confirme la vidéo et explique l’attitude des gouvernements dans la crise covid obligés par les relations incestueuses avec Bigpharma et depuis longtemps.

 

5765834Jérôme Cahuzac Sipa

ENQUÊTE. L’affaire Cahuzac a attiré brutalement l’attention de la justice sur lui. Sophie des Déserts et Marie-France Etchegoin ont suivi pas à pas l’incroyable itinéraire de ce tout-puissant lobbyiste de la santé.

Par L’Obs

Publié le 10 mai 2013

Capture d’écran 2020-09-15 à 00.19.23Daniel Vial (Frédéric Stucin/Pasco pour  » le Nouvel Observateur »)

Parmi les nombreux cercles que fréquente Daniel Vial, il en est un auquel il préférerait ne pas appartenir. Celui des amis que Jérôme Cahuzac a prévenus avant de passer aux aveux. Sans doute l’ex- ministre devait- il au moins ça au généreux lobbyiste qui, il y a plus de vingt ans, lui a permis de signer quelques-uns de ses premiers contrats avec l’industrie pharmaceutique. Aux dires de leurs proches, les deux hommes se sont vus fin mars vers 8 heures du matin.

Ce jour-là, alors que Daniel Vial s’apprête à partir pour Roissy, il entend son téléphone vibrer. Au bout du fil, Cahuzac : « Viens, il faut que je te parle. » Vial est pressé. Il doit accompagner le directeur général de Sanofi, Chris Viehbacher, dont il est le conseiller spécial, en Asie du Sud-Est. Mais « Jérôme », qui vient de démissionner, semble au bord du suicide. « Daniel » habite près de chez lui, dans le 7e arrondissement. Il peut bien faire un détour sur le chemin de l’aéroport.

« Les juges ont tout, annonce, d’une voix d’outre-tombe, le socialiste à son ancien employeur. Je vais tout dire… Pardonne-moi. Je suis désolé que tu te retrouves mêlé à cette histoire. » Le conseiller spécial est monté dans l’avion, la boule au ventre. Depuis, les policiers sont venus frapper à sa porte.

Une sorte d’omerta à ciel ouvert

Jusque-là, Daniel Vial n’avait jamais pris la lumière. C’étaient les labos, clients de sa société de lobbying, PR International, qu’il poussait sous le feu des projecteurs. Pfizer, GlaxoSmithKline (GSK), Merck, Lilly, Bayer… Du ministère au Conseil de l’Ordre, en passant par les agences sanitaires, tout le monde connaissait « Daniel » sans que sa notoriété, jamais, ne dépasse le petit milieu de la santé.

Son exceptionnel entregent et son art de la persuasion étaient l’un des secrets les mieux partagés. Sous tous les gouvernements. Ce vrai faux homme de l’ombre a bénéficié d’une sorte d’omerta à ciel ouvert, résistant même à l’ouragan Mediator qui a révélé tant de liens incestueux entre le pouvoir et l’industrie pharmaceutique. Coup de chance, Vial n’avait travaillé qu’une fois pour Servier qui le trouvait cher et un peu trop « olé olé ».

L’incroyable parcours de ce fils d’agriculteurs du Vaucluse

Aujourd’hui, Cahuzac est tombé et les bouches s’ouvrent. Toujours prudemment, off de préférence, mais suffisamment pour reconstituer l’incroyable parcours de ce fils d’agriculteurs du Vaucluse, éduqué chez les frères maristes, puis happé par les lumières de la capitale.

Il fit ses armes au « Quotidien du médecin », zébulon « marketing et communication » de Philippe Tesson. « Mon maître spirituel, dit-il, l’homme de ma vie. » « S’il était entré au « Quotidien de l’épicier », sourit le fondateur du journal, il se serait lancé dans l’épicerie. Et il aurait aussi bien réussi. »

Par les hasards de la vie, muni de son seul diplôme d’attaché de presse, le petit provincial est devenu avec sa société et ses 150 salariés l’incontournable go-between entre les labos et les pouvoirs publics. Ses méthodes éclairent sous un autre jour l’affaire Cahuzac. Elles dévoilent aussi un système. Car la vie de cet éternel jeune homme, aujourd’hui sexagénaire, se confond avec la folle expansion des firmes pharmaceutiques.

« Il y a peu de grands médicaments sur lesquels je n’ai pas travaillé… », dit-il en recevant « le Nouvel Observateur » dans son appartement, à deux pas du ministère de la Santé, où tant de politiques et d’industriels du médicament sont venus admirer la vue, sublime, sur les Invalides. « Aujourd’hui, on se pince le nez quand on parle des labos, en oubliant qu’ils sauvent des millions de vie. Je ne comprends pas cet acharnement. »

La droite comme la gauche courtisaient la « pharma »

Dans le monde qui l’a fait roi, personne ou presque ne s’est jamais offusqué du mélange des genres ni des confits d’intérêts. La droite comme la gauche courtisaient la « pharma », grande pourvoyeuse d’emplois ou de subsides pour les campagnes électorales. Il a fallu l’affaire Cahuzac pour que son nom soit imprimé dans les journaux. « Jérôme était brillant, beau comme un dieu, se désole aujourd’hui le lobbyiste. Comment aurais-je pu imaginer qu’il avait un compte en Suisse ? »

En décembre dernier, Vial l’avait même convié à dîner chez lui. Avant de franchir le seuil de la porte, le tout-puissant ministre du Budget lui avait lancé, avec son air de Grand Inquisiteur : « J’ai demandé à mes services de vérifier. Sur le plan fiscal, tu es clean. Je peux donc accepter ton invitation. »

Jérôme Cahuzac
Jérôme Cahuzac Sipa

Quelques mois plus tard, le même Cahuzac confessait qu’il avait lui-même une cagnotte à Genève, alimentée par les « entreprises de santé » auxquelles il avait vendu son « expertise » ! Désormais, les juges cherchent l’origine de ces fonds occultes.

Et le 17 avril dernier, Daniel Vial, qui séjournait à Marrakech pour un énième voyage d’affaires en compagnie du patron de Sanofi, a eu la désagréable surprise d’apprendre que les policiers avaient perquisitionné son domicile et son bureau, au siège du groupe. Ils y ont notamment saisi une photo de lui avec Jérôme Cahuzac, prise le 24 octobre, au George-V, lors d’un « petit déjeuner débat », organisé par la revue « Politique internationale ». Une centaine de « décideurs » assistaient à l’événement. Si l’on devait mettre sous scellés tous les clichés qui montrent l’art du réseautage de Daniel Vial, il y aurait de quoi remplir des albums…

« Jérôme », l’une des plus « belles » prises

« Jérôme » fut une prise parmi d’autres. L’une des plus « belles », il en convient. Le lobbyiste a approché Cahuzac alors qu’il s’occupait de médicaments entre 1988 et 1991 au cabinet de Claude Evin. Puis il l’a ferré à la sortie quand le conseiller s’est retrouvé, démuni, sans poste de chirurgien à l’hôpital. « Je lui ai filé deux-trois dossiers, élude Vial. Il volait déjà de ses propres ailes. » Tout juste se souvient-il de leur campagne pour empêcher le déremboursement d’un fortifiant des années 1930, le Tot’héma ! Il a fréquenté tant de conseillers ministériels.

Son job, c’était de repérer les jeunes pousses prometteuses. Il les invitait chez lui, autour d’un café ou dans un restaurant étoilé. Parlait de son goût pour l’art contemporain, de ses amitiés avec Adjani, Rampling ou Rostropovitch. Dissertait sur l’économie de la santé, mais sans jamais aborder frontalement un dossier. Ce dandy bronzé, au regard voilé par un léger strabisme, a toujours eu l’air de ne pas y toucher. Voilà comment il s’est lié avec tant de hauts fonctionnaires à la réputation sans tache, dont Didier Tabuteau, le fondateur de l’Agence du Médicament, ou encore Noël Renaudin, l’ex-président du Comité économique des Produits de Santé, chargé, à partir de 1995, de fixer le prix des produits pharmaceutiques, mission jusque-là dévolue aux services du ministre.

« Lorsque j’ai pris mes fonctions, se souvient Renaudin, Vial m’a aussitôt invité à déjeuner et a organisé un rendez-vous avec toute l’industrie pharmaceutique. Par la suite, nous sommes restés en contact. Mais jamais, durant quinze ans, il ne m’a parlé d’un médicament. » Avec les incorruptibles, Vial se contentait de distiller sa petite musique… Avec ceux qui l’étaient moins, il a fait du business.

« Sans moi, vous n’arriverez à rien »

Un flirt subtil avec le trafic d’influence ? « Je n’ai rien fait d’illégal, plaide l’émissaire des labos. Le Code de la santé est dix fois plus épais que le Code du travail. Il est tout à fait normal que les sociétés se rapprochent de gens comme moi pour tenter de se frayer un chemin dans les méandres de l’administration. »

Soumises à la puissance publique – des essais cliniques aux autorisations de mise sur le marché, jusqu’à la fixation de prix -, les firmes ont toujours cherché à nouer des contacts dans l’appareil d’Etat. Daniel Vial s’est ainsi rendu indispensable auprès des petits labos ou des firmes étrangères, qui contrairement aux grands capitaines de la pharma tricolore – Servier, Dehecq, Fabre – n’avaient pas la ligne directe des présidents de la République et des ministres. « Il avait un culot monstre. Il leur disait : « Sans moi, vous n’arriverez à rien » », s’amuse un ancien collaborateur.

Des débats, facturés 3 900 euros par participant

Aux universités d’été de « Pharmaceutiques », Vial montrait l’étendue de sa force de frappe. Durant quinze ans, et jusqu’en 2011, quasiment tous les ministres de la Santé, les représentants de l’Assurance-maladie, des mutuelles ou des autorités sanitaires se retrouvaient, dans le Lubéron, au château de Lourmarin, aux côtés du gotha de l’industrie pharmaceutique. En maître de cérémonie, l’infatigable Daniel veillait à tout, de la couleur des glaïeuls à l’emplacement des transats. « Je vous laisse à vos discussions, disait-il en virevoltant entre les tables. « I’m not a scientist ». »

[DIMANCHE] Daniel Vial, l'ami de Cahuzac et des labos
Durant quinze ans, et jusqu’en 2011, quasiment tous les ministres de la Santé, les représentants de l’Assurance-maladie, des mutuelles ou des autorités sanitaires se retrouvaient aux universités d’été de « Phamaceutiques », dans le Lubéron, au château de Lourmarin, aux côtés du gotha de l’industrie pharmaceutique. (DR)

Les débats, facturés 3 900 euros par participant et menés par l’ex-ministre de la Santé de Jacques Chirac, Michèle Barzach – fidèle de Vial, elle-même reconvertie dans le consulting -, étaient de « haute volée », confie un très haut fonctionnaire de la santé : « Alors je venais. Même si j’étais poursuivi jusqu’aux toilettes par les industriels qui voulaient me vendre leurs produits. A la fin, j’allais pisser contre un arbre pour être tranquille… » Le dimanche, à quelques kilomètres du château, M. Vial recevait les hôtes de marque pour l’aïoli, dans son prieuré de Bonnieux, bijou de l’art roman autrefois offert par Roger Vadim à Jane Fonda. Au programme : parties de pétanque et plongeons dans la piscine.

La « pédagogie en bras de chemise »

Cette « pédagogie en bras de chemise » a été théorisée par le lobbyiste qui en a usé et abusé. En ce temps-là, l’industrie pharmaceutique, encore portée par de réelles découvertes et une Assurance-maladie généreuse, ne comptait pas ses sous. Les colloques, séminaires de formation continue et autres symposiums, organisés par PR, avaient souvent lieu au soleil. Les médecins adoraient, les journalistes de la santé aussi. Les articles étaient rarement critiques. Au bord d’une piscine, à Rhodes ou à Istanbul, les nouvelles molécules pour vaincre le cholestérol ou adoucir la ménopause avaient tellement de charme…

Les visiteurs médicaux, souvent formés par Vial, se chargeaient de maintenir gentiment la pression sur les prescripteurs. Tandis que la revue « Pharmaceutiques », créée par le lobbyiste avec l’argent des labos, parachevait l’œuvre de propagande auprès des parlementaires gracieusement abonnés et souvent régalés chez Lenôtre ou Ledoyen lors des rencontres du Club Avenir de la Santé.

L' »opération Innothéra », menée en partie avec Jérôme Cahuzac, fut l’un des plus beaux exemples de cette savante synergie. Vial a requinqué ce petit laboratoire familial d’Arcueil, en soufflant à son PDG, Arnaud Gobet, une stratégie « exclusivement orientée sur les femmes… » Création, à leur intention, d’un trimestriel sur papier glacé avec des journalistes du « Figaro », publireportages à la gloire des pilules contre les jambes lourdes et les infections vaginales, défilé de mode aux Bains Douches pour vanter les bas de contention, grand raout à l’Unesco avec… 13 prix Nobel !

Derrière le mondain vibrionnant, un stratège

Sous ses airs de mondain vibrionnant, Vial est un stratège. « Il possède une vraie analyse du monde politique, des labos, de leurs rapports de force, de ce que deviendra un système de santé », explique l’actuel patron du « Quotidien du médecin », Gérard Kouchner (le frère de Bernard), qui le fréquente depuis trente ans. Très tôt, le lobbyiste sent le vent de la mondialisation. Notamment en Chine qu’il découvre, tout jeune, au bras du couturier Pierre Cardin. Tout en s’improvisant mécène, à la tête d’un extravagant comité pour la sauvegarde de la Grande Muraille, il aide certaines firmes à s’y implanter.

[DIMANCHE] Daniel Vial, l'ami de Cahuzac et des labos
Dans les années 80, tout en s’improvisant mécène, à la tête d’un extravagant comité pour la sauvegarde de la Grande Muraille, il aide certaines firmes à s’implanter en chine. (DR)

En 1988, il vend même à Bayer une étude réalisée par une épidémiologiste de l’Inserm, censée démontrer la supériorité des pilules occidentales sur la médecine chinoise dans le traitement du diabète, prélude nécessaire à la percée des sociétés au pays de Confucius.

En France, il suggère aux multinationales étrangères de se regrouper en syndicat, appelé LIR (1), pour résister à ces politiques toujours prompts à réclamer un partage des brevets avec les firmes hexagonales ou une usine dans leur circonscription. Et pour tenter de faire oublier les scandales qui secouent déjà l’industrie pharmaceutique, il met en place des fondations. Une sur les maladies infectieuses en Afrique – longtemps présidée par Barzach – pour GSK. Une autre sur l’art à l’hôpital pour Bayer. Pour Lilly, l’inventeur du Prozac, qui espère une extension d’autorisation de mise sur le marché pour le Zyprexa, un médicament contre la schizophrénie, il imagine un grand barnum sur l’accès aux soins, à … Villeneuve-sur-Lot, dans la mairie alors convoitée par son ami Cahuzac.

Dans l’ombre des puissants

Comme s’il avait pressenti la crise, Daniel Vial a vendu sa petite entreprise en 2006, pour 10 millions d’euros. Il s’est aussitôt « mis au service d’un homme », un Canadien d’origine allemande, venu de chez GSK, Chris Viehbacher, le nouveau DG de Sanofi. La complicité entre « Chris » et « Daniel », née il y a vingt ans, s’est renforcée au gré de séjours partagés à Paris et dans le Lubéron. Viehbacher a offert à son ami un contrat de consultant en or, que l’on dit approcher 1 million d’euros annuel.

Ainsi Vial a poursuivi son chemin, dans l’ombre des puissants, pénétrant à l’Elysée dès l’élection de Nicolas Sarkozy – lors d’un dîner avec George Bush – grâce à François Sarkozy, frère de l’ex-président français, ancien pédiatre devenu consultant. Au siège de Sanofi, aujourd’hui, il initie des « entretiens », comme au bon vieux temps, mêlant des acteurs du monde de la santé à des politiques et des diplomates tel Jean-Daniel Levitte. Dans son prieuré de Bonnieux, il continue à recevoir tout le gratin du Lubéron, Jack Lang en tête. Chez lui, place Vauban, il ne cesse d’organiser des dîners, où se croisent Simone Veil, sa voisine du dessous, Claire Chazal, Agnès Varda, Yves Lecoq, la fille de Deng Xiaoping, des princes venus du Golfe …

« Daniel est un vrai généreux, dit Rachida Dati. Il m’offre des livres, m’appelle dès qu’il improvise un brunch. Je l’adore. » Les ex-ministres de la Santé sont moins diserts. « Pourquoi s’intéresser à lui ? Vous n’allez quand même pas faire de ce type une vedette ! » s’agace Bernard Kouchner, comme s’il ne lui avait pas remis la Légion d’honneur en 2001. « Vial n’est pas un ami », ose Philippe Douste-Blazy, oubliant les chaleureux textos envoyés au lobbyiste quelques jours plus tôt. « Il était le simple organisateur des menus plaisirs », minimise Roselyne Bachelot, l’une des « copines » préférées de Daniel.

Chez Sanofi, aussi, on applique soudain le principe de précaution. Nombre de cadres s’interrogeaient depuis longtemps sur le rôle de ce conseiller très spécial qui suit Viehbacher comme son ombre et travaille secrètement au lancement d’une boisson pour la santé, bourrée de vitamines et de statines, avec Coca-Cola… Sa proximité avec Cahuzac, révélée au grand jour, n’a fait qu’accroître les suspicions. La semaine dernière, il a été décidé de suspendre M. Vial « pour un mois ou deux ». Le temps que l’œil du cyclone se déplace. Et que le business reprenne, as usual.

(1) Laboratoires internationaux de Recherche

 

Source : L’Obs

 

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