Affaire Benalla : les six failles des réponses de Gérard Collomb

Le ministre de l’intérieur n’a pas dissipé le brouillard sur plusieurs points de l’affaire qui restent obscurs.

Le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, a tenté lundi 23 juillet de désamorcer les critiques dont fait l’objet le gouvernement dans la gestion de l’« affaire Benalla », lors de son audition par les députés devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale. S’il s’est défendu de toute faute personnelle, le ministre de l’intérieur n’a pas dissipé le brouillard sur plusieurs points de l’affaire qui restent obscurs.

1. Gérard Collomb pouvait ignorer l’identité d’Alexandre Benalla, mais pas son entourage

M. Collomb a réfuté, lors de son audition, tout lien avec Alexandre Benalla. Il a certes reconnu l’avoir croisé à plusieurs reprises pendant la campagne présidentielle et depuis l’élection d’Emmanuel Macron, mais il a assuré qu’il ignorait ses fonctions : « J’ignorais sa qualité de conseiller du président de la République » avant le mois de mai, a-t-il dit aux députés.

Le chef de cabinet de Gérard Collomb, Jean-Marie Girier, ne peut pas en dire autant : il était lui-même directeur de campagne de M. Macron en 2017, à laquelle M. Benalla a activement participé. Des messages qui figurent dans les « MacronLeaks », issues du piratage de courriels personnels et professionnels de responsables d’En marche !, montrent d’ailleurs des échanges entre eux. Le député communiste Stéphane Peu l’a d’ailleurs interpellé sur ce point, estimant que « les liens étaient forcément plus étroits » entre les deux hommes.

Le ministre a également reconnu qu’Alexandre Benalla avait formulé plusieurs demandes de port d’arme ces dernières années, dont l’une auprès de son cabinet, en juin 2017, qui lui a été refusée. « Toutefois, la préfecture de police lui a délivré une autorisation de port d’arme le 13 octobre 2017, sans que mes services aient été mis au courant », a-t-il ajouté.

2. Le ministre reconnaît en creux le flou qui entourait le rôle de M. Benalla

Gérard Collomb a assuré qu’il ne connaissait pas Alexandre Benalla personnellement, et qu’il pensait « qu’il faisait partie des services de police ». Ce n’est, selon lui, que le 2 mai, lorsque les violences de l’intéressé en marge de la manifestation du 1er Mai à Paris lui ont été signalées qu’il a découvert ses attributions à l’Elysée.

Avec cette déclaration, le ministre met un peu plus de distance encore entre M. Benalla et lui-même. Il souligne en revanche en creux que l’intéressé pouvait facilement passer pour un membre des forces de l’ordre — ce qu’il n’était pas —, y compris auprès du ministre de l’intérieur.

3. Plusieurs policiers sont restés passifs quand MM. Benalla et Crase sont intervenus

Lorsque la présidente de la commission, Yaël Braun-Pivet, lui a demandé comment il expliquait « l’absence de réactions des autres membres des forces de l’ordre » aux violences commises par MM. Benalla et Crase le 1er mai, la réponse de Gérard Collomb a été catégorique : « Tout simplement parce qu’elles-mêmes étaient occupées à gérer d’autres incidents. » Et d’ajouter :

« Comme vous l’avez [vu] dans la vidéo, l’action de M. Benalla était assez rapide. Le temps que les gens réalisent, les choses étaient terminées. »

Cette présentation des faits a de quoi surprendre. En effet, la première vidéo de la scène, qui a commencé à circuler le jour même des faits, montre que les faits ont duré près de deux minutes.

On y voit d’abord Vincent Crase, l’employé de la République en marche qui était lui aussi censé être présent en tant que simple observateur, saisir puis traîner un manifestant. Ce premier acte a duré environ quarante secondes, et l’homme était entouré de plusieurs policiers :

Capture écran de la vidéo prise place de la Contrescarpe, en marge de la manifestation du 1er-Mai à Paris.

C’est là qu’intervient Alexandre Benalla, pendant environ quarante secondes supplémentaires, sans qu’un seul des policiers présents autour de lui s’interpose. Un certain nombre d’entre eux n’étaient, sur le moment, pourtant pas affairés.

Sur cette capture d’écran de la vidéo prise le 1er mai, le visage casqué de M. Benalla.

4. La « police des polices » aurait pu être saisie avant la parution de l’article du « Monde »

Plusieurs députés se sont étonnés que Gérard Collomb n’ait saisi l’inspection générale de la police nationale (IGPN), la « police des polices », que le 19 juillet. Le ministre de l’intérieur a en effet attendu que l’affaire eût été rendue publique par Le Monde pour le faire, alors qu’il avait connaissance des faits depuis plus de deux mois.

« Ce n’est qu’après la parution, le 18 juillet, d’un article dans Le Monde apportant des éléments nouveaux et la découverte de nouvelles images où M. Benalla est équipé d’un brassard siglé police et doté d’une radio que je considère qu’il est nécessaire d’en savoir plus », s’est justifié M. Collomb devant la commission parlementaire.

Cet argumentaire peut paraître étonnant, car l’enquête du Monde a révélé des faits déjà connus par Gérard Collomb depuis le 2 mai. Certes, le ministre n’avait peut-être pas encore pris connaissance des vidéos sur lesquelles on voit M. Benalla porter un brassard de police et une radio.

Mais il avait déjà vu les images montrant M. Benalla frappant un manifestant, avec un casque siglé de la police, alors que celui-ci n’était qu’un collaborateur de l’Elysée — le casque lui a été remis à des fins de protection, a dit le ministre, reconnaissant qu’il y avait là matière à réflexion tant cette pratique ouvre la porte à de possibles confusions. Il apparaissait également que des policiers présents sur place auraient pu s’interposer. Des éléments pouvant justifier la saisine de l’IGPN étaient donc déjà en possession du ministre le 2 mai.

5. Gérard Collomb a refusé de répondre à plusieurs questions précises, malgré les relances

Le ministre de l’intérieur dit s’être assuré dès le 2 mai que « tant le cabinet du président de la République que la préfecture de police avaient été destinataires de l’information de la vidéo mettant en cause M. Benalla. Il leur appartenait donc d’agir. »

Cette ligne de défense a néanmoins été fragilisée à plusieurs reprises par les questions des députés sur son niveau d’information exact avant, pendant et au lendemain des faits. L’ancien maire de Lyon a dès lors choisi de ne pas donner suite à certaines questions, malgré l’insistance des parlementaires. Il n’a par exemple jamais souhaité préciser quelles vidéos il avait visionnées et à quels moments il avait pu les consulter. Pas plus qu’il n’a indiqué à quel moment précis et comment il avait été informé du fait qu’Alexandre Benalla avait arboré un brassard de policier lors du 1er Mai.

Gérard Collomb a également refusé de commenter le rôle de Philippe Mizerski, un membre de l’état-major de la direction de l’ordre public et de la circulation (DOPC), qui était chargé d’encadrer M. Benalla le jour de la manifestation. Cet homme, qui apparaît lui aussi dans les vidéos, mais qui ne s’interpose pas, ne pouvait ignorer l’identité de M. Benalla.

Enfin, le ministre n’a pas souhaité commenter les liens entre son directeur de cabinet, Jean-Marie Girier, et M. Benalla, tous deux impliqués dans la campagne d’Emmanuel Macron.

6. L’article 40 du code de procédure pénale ne se limite pas aux liens hiérarchiques

Gérard Collomb s’est défendu d’avoir failli à ses responsabilités en ne signalant pas directement l’affaire à la justice. Selon l’article 40 du code de procédure pénale, « toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ».

Mais le ministre a fait valoir qu’il ne lui appartient pas de transmettre un dossier au procureur, déclarant s’inscrire « dans la lignée de [ses] prédécesseurs qui ne l’ont pour la plupart utilisé que pour des délits relatifs à la loi de 1881 sur la liberté de la presse », estimant qu’il appartient à son administration de le faire.

« A qui revenait l’obligation de déclencher l’article 40 ? », lui a demandé Hervé Saulignac, député socialiste de l’Ardèche. « Je vous ai lu l’ensemble de la jurisprudence établie par mes prédécesseurs : ce n’est pas le genre de problématique traitée par le ministre de l’intérieur », a alors répondu Gérard Collomb, selon qui la décision appartient « aux autorités directement supérieures à l’intéressé ».

Une déclaration pour le moins surprenante : la loi ne fixe aucune exigence en la matière. Dans l’esprit, ce texte vise au contraire à encourager le signalement de faits dont les agents publics ont pris connaissance dans l’exercice de leurs fonctions, quand bien même ils ne concernent pas des subordonnés.

Source : Le Monde

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